L'envers d’une vie : interview de Caroline Pascal
Dans son dernier roman "L'envers d'une vie", Caroline Pascal décrit la vie d'un homme blessé dès son enfance par sa laideur et une identité paternelle aléatoire. Par un savant jeu de construction littéraire, qui nous fait découvrir la vie de Paul-Armand de Coutainville de la fin de sa vie à son enfance, Caroline Pascal enquête sur un homme assoiffé de reconnaissance sociale et d'un bonheur insaisissable. Rencontre avec l'auteur.
Crédit photo Bruno Klein
Dans L'envers d’une
vie, votre dernier roman sorti aux éditions Plon début janvier 2013, le
lecteur découvre une fresque à rebours, celle d’un homme, Paul-Armand de
Coutainville, qui meurt couvert d’honneurs… Pourquoi avoir choisi ce type de
construction littéraire ?
Caroline Pascal : L’idée
était de construire quasiment un policier, un roman qui creusait dans
l’intimité de ce personnage et d ‘enlever au fur et à mesure les masques
qui se sont accumulés tout au long de sa vie. Ainsi, au fil des pages, on perce
au fur et à mesure la cuirasse qu’il s’est forgée après de nombreux évènements
personnels douloureux pour revenir au cœur de l’essentiel, de ce qui l’avait
marqué dans son enfance.
Avez-vous commencé à écrire l’histoire
comme elle nous est présentée ? Par la fin ?
C. P. : Oui,
je l’ai écrite dans le même sens pour être dans la position du lecteur. Je
crois que si je l’avais écrite dans l’autre sens, cela aurait été beaucoup plus
artificiel et peut-être plus difficile pour le lecteur. C’est vrai que cette
gymnastique m’a forcée à revenir constamment sur les évènements qui s’étaient déroulés
car le personnage nous échappe toujours
un peu, et même si j’ai une trame, je ne sais pas toujours ce qui va se passer
dans les dix années qui vont suivre… Je revenais donc régulièrement en arrière,
pour qu’il n’y ait pas de contradictions avec ce qui avait déjà été dit. Je crois que c’était malgré tout plus
facile que si je l’avais écrit dans l’autre sens. Il me semble que le résultat aurait
été plus artificiel.
La seconde femme de Paul-Armand de
Coutainville, Thérèse, lui redonne de la stabilité et une existence sociale.
N’est-il pas trop tard pour cet homme blessé dès son enfance par sa laideur et
une identité aléatoire ?
C. P. : Il
n’est jamais trop tard. Il est vrai que c’est
un peu l’homme des ratés car à chaque fois qu’il aurait pu être heureux, il
lui arrive quelque-chose qui l’en empêche. Avec Thérèse particulièrement
puisqu’elle disparaît très vite… On a encore l’impression d’un rendez-vous manqué.
Il l’épouse un peu comme sa dernière chance même s’il n’en est pas absolument
amoureux. Très longtemps, il a d’ailleurs pensé n’avoir eu qu’une seule femme
dans sa vie, France, la première, et finalement il se rend compte au moment où Thérèse disparaît, que dans le fond, ils avaient
vraiment construit un couple qui voulait dire quelque-chose et qu’il était
vraiment attaché à elle. C’est un peu le symbole exact de sa vie :: chaque fois qu’il s’apprête à construire
son bonheur, il le perd. Malgré tout, il finit les dix dernières années de sa
vie comme une sorte de rédemption avec Thérèse. Grâce à elle et pour la
première fois de sa vie, il préfère s’inscrire dans sa descendance en se tournant vers sa fille et son petit
fils, plutôt que de ressasser le passé.
Une certaine mélancolie ressort de votre
narration, y compris à la fin de sa vie. Pourtant votre personnage est enfin
reconnu par ses pairs à travers de prestigieuses récompenses honorifiques.
Est-ce voulu ?
C. P. : Oui,
et je pense que ce sentiment est d’autant plus fort que le roman est construit
dans l’autre sens. Avec une fin de vie qui se termine logiquement dans les
dernières pages du roman, on aurait peut-être moins eu ce sentiment car ses
dernières heures sereines, sa vie apaisée seraient apparues logiques. Alors que
là, en découvrant dans les premières pages cette fin de vie, et en creusant de chapitres en chapitres sa souffrance, on a
encore plus cette impression de tristesse ou de douleur à vie.
On peut tout de même se demander si
Paul-Armand de Coutainville n’aurait pas été plus heureux si sa maîtresse
Marie-Jeanne avait mené sa grossesse à terme. Avec un enfant illégitime, dans
un jeu de miroir identitaire, il aurait peut-être tout autant reconstruit voire
plus…Pourquoi avoir fait le choix d’une fin de vie plus convenue ? Avez-vous
hésité à lui donner ce destin moins conventionnel ?
C. P. : Non,
je ne me suis pas posé cette question, car en l’écrivant dans ce sens là, sa
fin de vie était déjà écrite et lorsque j’écrivais la rencontre avec
Marie-Jeanne, je savais déjà ce qu’il était après. L’’épisode de Marie-Jeanne
est effectivement encore un raté. Il est attiré par d’autres milieux sociaux,
par la différence, car jeune, il ressent un énorme besoin de réconciliation impossible
à obtenir dans son propre milieu. Il se révolte mais finalement n’arrive jamais
totalement à s’en affranchir même après mai 68, son divorce, ses dérives post
soixante-huitardes… Il ne parvient jamais à quitter son milieu
d’origine. Il cherche toujours au fond à se faire adopter…
Comme dans vos précédents romans, vos
personnages s’épanouissent dans une même ville, Versailles. Pourriez-vous
envisager de déplacer votre cadre narratif vers une autre ville ? Y avez-vous
rencontré Paul-Armand de Coutainville ?
C. P. : Non,
je ne compte pas quitter Versailles. J’ai besoin de manière très charnelle de
voir, de ressentir les lieux et les personnages de mes romans. Je connais aussi très
bien le Bessin que je décris lorsque je parle de la maison d’Armand en
Normandie. C’est vital, j’écris sur ce que je connais. Ensuite, je suis très attachée
à cette ville car j’y suis née et je connais très bien les milieux que je
décris puisque ce sont ceux dans lesquels j’évolue depuis ma plus tendre
enfance. De plus, dans chacun de mes romans, je reprends un personnage qui
était dans l’ombre dans un de mes romans précédents et j’ai envie de continuer,
de créer une sorte de galaxie. Là, il s’agit de René qui était le personnage
principal de Derrière le paravent.
En restant à Versailles, je souhaite créer une espèce de microsociété.
Concernant mon personnage principal, Paul-Armand de Coutainville, non je ne le
connais pas. C’est totalement romancé. Ça se nourrit évidemment de mes rencontres mais il s’agit en réalité d’un
kaléidoscope de personnages croisés ponctuellement comme pour mes trois
premiers romans.
Le 33e Salon du Livre vient
de se terminer Porte de Versailles. Y avez-vous rencontré vos lecteurs ?
Quel accueil votre livre a-t-il reçu ?
C. P. : Oui,
j’ai eu l’occasion de signer ce dernier roman mais je les rencontre plutôt dans
les cercles littéraires (conférences, groupes de lecteurs) et là le retour est
passionnant. Lorsque mes lecteurs ont l’impression de revivre l’histoire d’un
proche comme par exemple Derrière le
paravent où il était question du suicide d’un jeune trentenaire, c’est
toujours touchant. Et puis, sur ce roman Une
vie à l’envers, l’aspect sociologique disparaît un peu dans les retours que
j’ai pu avoir, au profit d’une vision plus universelle de la vie de ce
personnage et la construction atypique de mon roman. J’ai l’impression que le
travail que je fais sur la forme est apprécié. C’est capital pour moi.
Retrouvez les actualités de Caroline Pascal et ses dernières interviews sur son blog
Précédents romans : Fixés sou verre, Plon, 2003Derrière le paravent, Plon, 2005
La Femme blessée, Plon, 2009
L'envers d'une vie
Editions Plon
Prix : 20 euros