Marie Monge, réalisatrice dopée à l'adrénaline

Avec son premier long-métrage, "Joueurs", Marie Monge nous invite dans la nuit parisienne en compagnie de Tahar Rahim et Stacy Martin. Cette plongée haletante dans le monde des accros aux paris lui a valu une standing ovation à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Interview de celle qui va faire tapis avec nos cœurs dès le 4 juillet.

Marie Monge, réalisatrice dopée à l'adrénaline
© BAC Films

Le Journal des Femmes : Comment est née l'idée de Joueurs ?
Marie Monge : J'avais envie de faire un film sur des personnes qui prennent des risques, avec un profil addictif, sans que ce soit une histoire de chute et de déchéance. Je ne suis pas joueuse, mais j'ai déjà été amoureuse et j'ai pu constater que la passion obéit au même schéma que l'addiction au jeu, à la drogue ou à l'alcool. J'ai voulu raconter le parcours de cette jeune femme comme un parcours de droguée pour qu'à la fin, ce qu'elle a vécu ne la détruise pas, mais la révèle à elle-même.

Plus qu'un film d'amour ou un thriller, c'est donc un film initiatique ?
Ce n'est pas un film d'apprentissage, mais un film sur la métamorphose. Les joueurs auxquels je me suis intéressée jouent pour connaitre leurs limites. Dans le rapport amoureux, on se lance pour se sentir vivant. C'est ce qu'on a travaillé avec Stacy. La rencontre d'Ella avec Abel la réchauffe, quelque chose s'arrondit en elle, elle est plus habitée, plus sensuelle. Elle s'ouvre... puis elle se consume. C'est un double mouvement, comme avec la drogue : on en prend pour tenir debout et c'est ce qui fait que tout s'écroule en nous. Ella est accro à un mec accro à quelque chose d'autre. C'est de la co-dépendance amoureuse.

Comment avez-vous travaillé un tel sujet ?
Je suis rentrée dans un cercle de jeux par hasard une première fois. J'ai été fascinée par la mixité des gens. Là-bas, tout s'annule. Il n'y a plus de différences culturelles ou sociales. Il reste une fièvre commune, un rapport de croyance, l'envie de se réinventer, de prendre des risques. Le roman de Dostoïevski, Le Joueur, mêle aussi l'obsession amoureuse à une entrée dans le jeu. On sent la tragédie dès l'origine. C'est un film documentaire en un sens.

© Bac Films

Qu'est-ce qui vous a attirée chez Stacy Martin ?
Je suis tombée amoureuse d'elle dans Nymphomaniac. Elle me fait penser à des comédiennes comme Jean Seberg ou Francoise Dorléac, à ces femmes qui ont du chien, de la délicatesse, de la grâce, mais aussi une force, une intelligence. Sa féminité me plait même en tant que femme. Quand j'ai appris qu'elle était française, j'ai demandé à la rencontrer alors que je n'avais pas encore de scénario. Je voulais m'inscrire dans la tradition du film noir d'amants maudits. Je ne savais pas qui serait l'homme, mais je voulais un contraste dans le couple alors je suis partie d'elle. Je l'ai gardée en tête quand j'écrivais. C'est elle la secrète, la mystérieuse.

En quoi Tahar Rahim est-il l'opposé ?
Pour l'homme, je voulais de la gouaille, quelqu'un de chaleureux, et j'avais envie d'acteurs venus de cinéma différents. Mon directeur de casting est celui d'Un Prophète. Quand j'ai rencontré Tahar, j'ai été séduite par son charme, son intelligence, sa malice. Il fallait un point de connexion entre eux. Même s'ils n'ont pas la même vie, Stacy et lui partagent beaucoup de qualités et un même rapport au monde. Ils sont curieux, généreux, humains, simples, travailleurs. On a lancé le film sans que la rencontre ait lieu. Quand ils se sont vus, ça a pris immédiatement. On constate cette confiance évidente dans le film.

© BAC Films

C'est votre premier long-métrage, qu'avez-vous appris ?
J'ai appris à faire attention à ne pas mettre l'équipe en danger. Il faut mesurer son enthousiasme. Sur le tournage, on se sent invincible. Les plus peureux sont intrépides. C'est pour ça que les gens sont accro, mais la réalité comporte des risques, surtout quand on a des scènes d'action ou de cascade. On a eu un accident, qui heureusement n'a pas été trop grave, mais c'était un rappel à l'ordre. Il faut également parvenir à prendre du recul malgré le manque de temps. Sans automatisme, c'est un perpétuel apprentissage.

En tant que femme, avez-vous ressenti une différence de traitement ?
Pas du tout. Dans le milieu, il y a surtout une différence de salaire, d'accès au budget, aussi bien pour les réalisatrices que pour les chefs opérateurs à qui on donne moins de responsabilités. Avec cette équipe, je n'ai jamais été traitée différemment, comme dans ma vie en général. Je sens le rapport au genre ailleurs, dans la réception : les gens sont étonnés qu'une femme aille vers le thriller, avec de la violence, une certaine flamboyance chez les personnages. J'entends "ce n'est pas un film féminin, c'est viril", des réflexions un peu lourdes.

Joueurs, avec Stacy Martin et Tahar Rahim. Au cinéma le 4 juillet.

"Joueurs : bande-annonce"