Michaël R. Roskam (Le Fidèle): "On ne finit jamais un film, on l'abandonne"

Troisième long-métrage de Michaël R. Roskam, "Le Fidèle" plonge Matthias Schoenaerts et Adèle Exarchopoulos dans l'univers du grand banditisme et des courses de voitures pour un mélodrame sensible. Attention, "Le Fidèle" n'est pas (qu')un film de gangsters.

Michaël R. Roskam (Le Fidèle): "On ne finit jamais un film, on l'abandonne"
© Maarten Vanden Abeele/Pathé Films

Le Belge Michaël R. Roskam est de retour avec son troisième long-métrage Le Fidèle, toujours avec son compatriote Matthias Schoenaerts. Pour donner la réplique à son acteur fétiche, il a fait appel à l'incontournable Adèle Exarchopoulos, au coeur d'un scénario écrit avec Thomas Bigeain et Noé Debré (scénaristes de Dheepan, réalisé par Jacques Audiard, Palme d'Or 2015 du Festival de Cannes). Fin du name dropping pour ce film dont le pedigree va lui assurer une carrière internationale et qui est le représentant de la Belgique aux prochains Oscars.

Telle Eve créée à partir de la côte d'Adam, le réalisateur a imaginé l'histoire d'"amour absolu" brûlante et jusqu'au-boutiste de Gigi et Bibi à partir d'un personnage secondaire de Bullhead, son premier long-métrage sorti en 2011. A eux deux ils forment une sorte de diptyque. Là où l'amour était impossible dans Bullhead, il trouve place dans Le Fidèle, qui est une histoire d'amour, ou plutôt un mélodrame romantique. Le milieu du braquage n'étant que le prétexte, qui va piéger le couple et le confronter. Avant que la vie, et donc la mort, inéluctables, ne fassent leur(s) oeuvre(s). Le Fidèle, une tragédie grecque belge. Un mélange foisonnant qui peut dérouter, mais qui fait la singularité de ce film porté par un couple (maudit) de cinéma idéal ; la direction d'acteur et la mise en scène étant les deux réussites du film. Rencontre celui qui en est la tête pensante.

Le Journal des Femmes : Vous avez ébauché ce film il y a de nombreuses années. Quand exactement ?
Michaël R. Roskam : L'histoire m'est venue il y a longtemps quand je travaillais sur Bullhead dans lequel le personnage de Jacky, interprété par Matthias Schoenaerts. est défini par une absence absolu de l'amour, contrairement à frère Steve. Avec ce personnage, j'ai eu un coup d'inspiration pour une histoire autour de l'amour absolu. Elles sont là les racines de Le Fidèle

Puis, vous avez collaboré avec Thomas Bigeain et Noé Debré. Qu'ont-ils apporté au scénario, qui n'était pas présent dans la version de base ?
Ils ont apporté leur expertise sur la structure d'un film et quelques idées supplémentaires, mais j'avais écrit les grandes lignes. Ils ont beaucoup nourri les dialogues, parce que le film est en français et que je suis flamand. C'était une collaboration très organique et inspirante. 

Matthias Schoenaerts est votre acteur fétiche ? Il est présent dans tous vos longs-métrages.
On est devenus amis depuis 2005 et notre rencontre pour un court-métrage. Ensuite il y a eu Bullhead et Quand vient la nuit. Pour Le Fidèle, c'était lui, je n'avais pas le choix. Je n'ai jamais envisagé quelqu'un d'autre que lui pour ce rôle. Même si au début je n'avais pas écrit le rôle en pensant à lui, mais en me concentrant sur l'histoire. 

Comment votre choix s'est porté sur Adèle Exarchopoulos pour le rôle de Bibi ? 
Le personnage de Bibi, à la base, devait être plus âgé et avoir une trentaine d'années. Quand je l'ai découverte dans La Vie d'Adèle où elle et Léa Seydoux étaient géniales, j'ai dit à Matthias qu'elle était la Bibi que je cherchais, qu'elle collait au personnage mais que c'était dommage qu'elle soit trop jeune. Avant de me rendre compte que je suis le réalisateur et que je fais ce que je veux (rires). J'ai même eu plus de facilité à terminer l'histoire après avoir choisi Adèle. Par ailleurs j'imaginerais bien Matthias et Léa dans un film ensemble, mais dans un autre contexte, dans une autre histoire. Elles sont toutes les deux des grandes comédiennes de leur génération. 

Il y a un rapport très égalitaire dans le couple que forment Gigi et Bibi. Ils s'écoutent et s'apportent autant, chacun va sacrifier beaucoup pour rester ensemble. On est loin des clichés du film de gangsters et de la représentation stéréotypée de la masculinité et de la féminité au cinéma...
J'ai consciemment essayé de faire partie d'une tradition du polar d'époque qui était un mélodrame d'amour sous la pression de la criminalité. J'ai amené les clichés de l'homme intériorisé et rustre, de la femme expressive, souvent une chanteuse ou une danseuse, dans notre époque. Lui est très sensible par exemple. Elle est une pilote automobile, elle est très intériorisée. 

"C'est ça l'amour, ça va vite donc on n'a pas conscience qu'on est en train de souffrir"

On voit d'ailleurs l'enfance de Gigi, très fondatrice dans sa construction, mais pas celle de Bibi, qui va révéler des secrets. Le film passe habillement du polar au mélodrame familial. Vous aviez dès le début en tête ce scénario très foisonnant et cette fin ?
Ca me fait plaisir que vous le remarquiez. Tout a été construit dans ce sens. Le début est filmé avec une grandeur cinématographique et le style change ensuite, la caméra devient plus nerveuse. Mon film est comme une voiture de course, sur le circuit pendant deux heures et qui, à la fin, a souffert de la route. C'est ça la vie et l'amour absolu. Ca va vite, il y a beaucoup d'énergie, de l'adrénaline, donc on n'a pas conscience qu'on est en train de souffrir. 

Huit mois de montage, c'est long. Pourquoi tant de temps ?
Parce que c'est un film hyper sensible, avec beaucoup d'ellipses. On a beaucoup coupé, on ajoutait des scènes, puis on en retirait d'autres. On ne peut jamais finir un film, on ne peut que l'abandonner. Et ce moment où on l'abandonne, parfois, ça peut prendre du temps. 

Quels sont vos projets ?
Je pense rester sur la criminalité et travailler sur le plus gros braquage dans l'histoire de l'humanité : la crise bancaire. Ces criminels financiers, dans les hauts étages des bâtiments, ont volé et reçoivent encore un salaire en plus. Si tu braques une banque à un tel niveau, on te donne mille ans de prison...

Qu'est-ce que vous diriez à quelqu'un qui n'a pas vu vos précédents films, pour lui donner envie de voir Le Fidèle ?
Dans un monde où on est entouré par beaucoup de désespoir et de cynisme, si tu veux rêver pendant deux heures et ressentir ce qu'est l'amour absolu et quelles peuvent être ses conséquences, il faut aller voir le film. 

Le Fidèle de Michaël R. Roskam avec Adèle Exarchopoulos et Matthias Schoenaerts (2h10). En salles le 1er novembre