Adèle Exarchopoulos : "Mon fils devra assumer mes choix de carrière"

Dans "Le Fidèle", Adèle Exarchopoulos enfile la combinaison d'une pilote automobile en couple avec un braqueur de banque. Mais elle endosse surtout son rôle le plus complexe d'actrice depuis "La Vie d'Adèle". Rencontre.

Adèle Exarchopoulos : "Mon fils devra assumer mes choix de carrière"
© Pathé Films

Adèle Exarchopoulos a tout dit. Parce que toutes les questions lui ont déjà été posées. A 19 ans, elle accède au statut de star internationale avec la Palme d'or pour le film déjà culte La Vie d'Adèle puis enchaîne et accumule les interviews et les couvertures de magazine à travers le monde. Par la suite, elle a sélectionné ses rôles, en France comme à l'étranger, est devenue mère, égérie d'une maison de luxe française et l'une des (la ?) comédiennes les plus observées de sa génération. Celle qui livrait un discours rafraîchissant en remportant le César du Meilleur Espoir en 2014 et s'est publiquement engagée en faveur des migrants n'est pas devenue une icône médiatique domptée, rompue et blasée par l'exercice de la presse et adepte de la langue de bois. Venue parler de la sortie du très réussi Le Fidèle, mélodrame noir sur fond de polar de Michaël R. Roskam, cette pasionaria nous le confirme : "Je ne supporte pas qu'on me conditionne, qu'on me dise quoi dire ou comment me comporter." Alors plutôt que de commenter, laissons-lui la parole. 

Le Journal des Femmes : Qu'est-ce qui vous a plu dans le rôle de Bibi ?
Adèle Exarchopoulos : J'ai aimé qu'elle ne s'excuse pas et ne se justifie pas d'aimer cet homme pour toute son histoire et toutes ses faiblesses. Mais aussi son sens du sacrifice et sa loyauté. J'aime qu'elle ne se sente en sécurité que dans sa voiture, alors que moi c'est un endroit où je me sens en danger. 

C'est votre rôle le plus physique, non ?
Oui. Mais c'est mentalement que ça a été le plus dur pour moi. J'ai réfléchi à comment elle se sent quand elle rentre dans sa voiture, sur la piste. J'ai discuté avec des femmes pilotes sur le danger de leur métier et la vitesse. Mais pour elles, c'est leur bureau d'aller à 200 kilomètres par heure. C'est comme les joueurs de poker, c'est pas gagner qui leur plait mais le risque de perdre. Je me demandais pourquoi elle prend le risque et pourquoi elle se sent bien dans cette prise de risque ? C'est ce chemin là que j'ai fait en amont, en trainant sur les circuits et en rencontrant des professionnelles. 

Actrice n'est pas un métier à risques ? Ne plus être anonyme, devenir une image publique, se montrer vulnérable...
Je sais pas ce qu'on perd... Il y a des choses qu'il faut prendre pour un jeu et avec distance, ne serait-ce que l'exercice de la presse. Ce serait mentir de dire que je ne suis pas touchée par une critique peu constructive ou une bonne critique qui m'est directement adressée. Mais si ça touche à ma famille ou mes amis, là je ne le supporte pas. 

"Je suis à l'affiche d'un film mais qu'est-ce qui me dit que dans six mois je serai encore là ?"

Etre la mère d'un jeune bébé et la soeur d'adolescents, cela vous fait-il réfléchir aux rôles que vous acceptez ?
Oui beaucoup. Tu réfléchis différemment quand tu n'es plus toute seule. Maintenant, ma pudeur enveloppe les miens. Ce que moi je vais assumer, il va falloir que mon fils et mes frères l'assument aussi. Je me suis beaucoup déshabillée pour mes rôles et je n'ai pas envie de me lasser ou de lasser les gens. Si je me rhabille ou juste si je trouve une façon avec le metteur en scène de montrer l'amour et la chair autrement, ça ira. 

Au delà de la pudeur, êtes-vous devenue plus sensible sur la représentation de la femme, les rôles stéréotypés, les questions d'identité ?
L'immigration est un thème qui me touche depuis longtemps, parce que c'est dans ma rue, en bas de chez moi et qu'on fait tous semblant de ne pas le voir. On est tous le migrant de quelqu'un. Ces gens ont une famille, une culture, une religion. Personne n'est à l'abri, on a trop tendance à l'oublier. Dans le cinéma, c'est là où parfois tu vas trouver des engagements, en choisissant un rôle, en défendant une vision. Pour Eperdument, je savais que j'allais me faire tailler et qu'on allait faire le parallèle avec l'histoire médiatisée (La jeune femme ayant servi à piéger Ilan Halimi, enlevé, séquestré et torturé, a eu une relation avec le directeur de la prison où elle était incarcérée, ndlr). Je ne l'ai pas vu comme ça, je n'ai pas incarné cette personne, je ne l'ai pas rencontrée. Je me suis mis dans l'esprit que c'était une autre affaire, qu'on racontait une histoire d'amour. A partir de là, j'étais heureuse de défendre quelqu'un qui a fait de la merde et était en train de payer. 

Qu'est-ce qui vous fait accepter un rôle ?
Avant c'était l'expérience, le rôle ou le partenaire. En faisant certaines erreurs et en grandissant, je me dis qu'il faut qu'il y ait un tout : un beau rôle, pas lisse, complexe et que j'ai envie de défendre, l'histoire et celui qui va la mettre en scène.

Depuis La vie d'Adèle, on vous écrit les rôles, non ?
Ca dépend. Pour le film de Ralph Fiennes (The White Crow, biopic sur le danseur étoile Rudolf Noureev) j'ai eu un casting. Pour Le Fidèle, Mickhael (Roskam, le réalisateur) a rencontré plusieurs actrices... C'est dangereux ce genre de rencontres, parce que tu ne sais jamais quelle attitude adopter. Est-ce que tu mens et fais semblant d'être comme le personnage ? Est-ce que t'es toi-même ? Comment le réalisateur visualise-t-il le personnage en toi ? Ce sont des questions auxquelles je n'ai pas les réponses. 

Face à la caméra, que faites-vous ?
Je suis le plus naturel possible. J'ai beau intellectualisé, au bout de 10 minutes, je ne peux pas m'empêcher d'être moi-même (rires)

© Pathé Films

Pourquoi ne vous a-t-on pas encore vue dans une comédie ? 
Je sais pas putain, j'aimerais bien (rires)

Êtes-vous quelqu'un de drôle, de joyeux dans la vie ? 
Franchement ouais, je suis pas quelqu'un de terne. J'ai très envie de faire une comédie. Pas forcément les grosses comédies, je kiffe le burlesque, l'absurde et les films anglais, ceux de Judd Apatow ou avec Jim Carrey. Ces films où tu trouves le personnage dans des trucs improbables. En France, on ne va pas se mentir, on a plus un humour beauf. 

Pourriez-vous devenir réalisatrice ?
Pour l'instant non. Ce n'est pas que je n'ai rien à raconter, mais je ne saurais pas comment le raconter. C'est un tel sacrifice, il faut une telle énergie une telle passion... Je ne l'ai pas encore. 

Vous êtes tout de même engagée auprès d'une association...
Je travaille avec le bureau d'accueil et d'accompagnement aux migrants, le BAM. Les bénévoles y sont exceptionnels et donnent de leur temps sans attendre de la reconnaissance. On m'a proposé plein de fois d'être porte-parole de différentes associations, mais je ne voulais pas le faire pour les mauvaises raisons. J'ai 23 piges, je ne peux pas être présidente de tout. Avec le BAM, j'ai voulu mettre en place des ateliers photo avec les migrants dans les camps et ça a été possible. Ils ne m'ont pas demandé de mettre une robe et de venir me montrer.

Etre égérie d'une grande marque comme Louis Vuitton vous permet-il une liberté de choix dans vos films ? Est-ce que vous vous lancez plus facilement maintenant dans un film à petit budget, plus confidentiel ou risqué ?
Financièrement bien sûr. La rencontre avec Nicolas (Ghesquière, directeur artistique de la maison) s'est faite naturellement et j'ai une affection immense pour lui. Je ne pourrais pas porter les vêtements de quelqu'un qui ne me touche pas. J'aime son travail et sa façon d'aborder la féminité et lui je l'aime, c'est quelqu'un d'extrêmement sensible et gentil. 

"J'aime la reconnaissance du public, mais parfois je la trouve injuste"

Quels sont les aspects que vous préférez dans votre métier et ceux que vous aimez le moins ?
C'est une bonne question. Je préfère apprendre. En fonction des rôles tu voyages, tu rencontres des bègues, des pilotes de courses.
Je ne peux pas dire que je n'aime pas le regard des gens parce que j'aime la reconnaissance du public, mais parfois je la trouve injuste. Ma mère est infirmière, c'est elle qu'on devrait applaudir le matin. Aussi, si je fais une erreur, elle devient publique et tout le monde sera là pour y assister... J'allais dire l'insécurité concernant ce que j'aime le moins, mais en fait j'aime ça. 

L'insécurité ?
Oui, on ne sait jamais. Là je suis à l'affiche d'un film, mais qu'est-ce qui me dit que dans six mois je serai encore là ? Mais c'est excitant, tout peut tourner.

Dernière question : que diriez-vous à un spectateur ou une spectatrice qui ne sait pas de quoi parle Le Fidèle pour lui donner envie de le voir ?
Je résumerais le film à une histoire d'amour où le seul ennemi est la mort. 

Le Fidèle de Michaël R. Roskam avec Adèle Exarchopoulos et Matthias Schoenaerts (2h10). En salles le 1er novembre