Festival de Dinard : les drames "Seule la terre" et "Pili" s'imposent

Après 5 jours de projection, la 28e édition du Festival du film britannique de Dinard s'est achevée ce dimanche 1er octobre. "Seule la terre" et "Pili" sortent gagnant de la compétition, marquée par des portraits engagés et qui disent indéniablement quelque chose de leur époque.

Festival de Dinard : les drames "Seule la terre" et "Pili" s'imposent
© Seule la terre, de Francis Lee/Copyright Salzgeber & Co. Medien GmbH / Agatha A. Nitecka

"Nous vivons sans doute plus intensément ici qu'ailleurs le Brexit. Quelles seront les conséquences pour la Bretagne, Dinard ou le Festival ?" s'interrogeait le maire de la ville lors de la cérémonie de clôture le samedi 30 septembre. Ce changement à venir dans les relations franco-britanniques conditionne immanquablement la façon dont les films proposés en compétition ou présentés sont reçus par le public et le jury, présidé par Nicole Garcia et qui compte, entre autres, Vincent Elbaz, Clémence Poésy ou encore l'écrivain Philippe Besson. Un jury qui a eu la lourde tâche de départager les 6 films de la compétition officielle, tous traversés par des questions d'identité. "Des portraits à hauteur d'homme et de femme, du cinéma qui s'empare du réel, de l'angoisse qu'ont certains de ne pas savoir quelle est leur place, de l'inconfort d'être soi" nous résumait très justement Philippe Besson. Les films à se démarquer cette année sont Seule la terre, bouleversante histoire d'amour entre deux paysans dans le Yorkshire et Pili, portrait d'une mère de famille séropositive en Tanzanie qui tente de réunir la somme nécessaire à la location d'un stand sur le marché de son village.

Le palmarès du 28e Festival du film britannique de Dinard

  • Hitchcock d'or, grand prix du jury : Seule la terre de Francis Lee en salles le 6 décembre

Brokeback Mountain de 2017 à la sauce anglaise. Seule la terre s'inscrit dans la lignée récente des films qui s'intéresse à la campagne et dresse le portrait de travailleurs paysans (Tom à la ferme, Petit Paysan, La Belle Saison et Le secret de Brokeback Mountain évidemment). Ce premier long métrage, nuancé et délicat, présente Johnny, jeune homme contraint de travailler dans la ferme familiale et qui tue l'ennuie et son mal être en se soûlant tous les soirs au bar du village et en enchaînant des relations sexuelles avec des hommes de passage. Sa rencontre avec un saisonnier roumain venu travailler à la ferme, en renfort de son père malade, va bouleverser les certitudes et les habitudes du paysan. Traversé par des moments de grâce et des scènes de sexe érotiques et intimistes, le film donne à voir le monde rural sans misérabilisme et une relation homosexuelle débarrassée de la honte qui entoure souvent ces amours dans les fictions.
Un prix mérité : il ne pouvait pas en être autrement.

  • Hitchcock du meilleur scénario : Daphne de Peter Mackie Burns

La misanthrope ou l'atrabilaire pas amoureuse. Daphne disserte de l'absurdité de l'amour sous cocaïne avec des inconnus, se fait virer des bars, peste contre sa mère cancéreuse ou semble insensible, au premier abord, au sort d'un homme qui se fait poignarder devant ses yeux. Portrait tendre et bavard des trentenaires d'aujourd'hui, Daphne a l'air d'une série télé, à la façon d'un Girls british ou d'un Casual. On y suit les déambulations, hésitations et sentiments d'une trentenaire désabusée et trop égocentrée pour sortir de l'auto-sabotage qu'elle s'inflige sans peine. "Regrette les choses que tu as faites, pas celles que tu n'as pas faites"  tentera sa mère pour la réveiller d'un cercle vicieux de décisions hasardeuses.
Si le scénario n'évite pas certains écueils et clichés, le film offre une tranche de vie moderne et amusante.

  • Mention spéciale du jury : Pili de Leanne Welham

Portrait(s) de femme(s). La genèse de ce premier long-métrage est particulière. Afin d'écrire le scénario du film, la réalisatrice Leanne Welham s'est intéressée au parcours personnel et familial de plus de 80 femmes en Tanzanie. De ces récits, elle en a tiré une seule histoire, mélange de la vie de toutes ces femmes. Pili présente ainsi le parcours d'une mère de famille célibataire séropositive qui n'a que quelques jours pour réunir la somme nécessaire à la location d'un stand sur le marché de son village en Tanzanie. Interprété par des actrices non-professionnelles, castées dans le village, le film touche par son scénario et la représentation digne et forte de ces différentes femmes, face à des problèmes tels que la pauvreté, la maladie, la situation de mère célibataire ou le patriarcat.
Un film nécessaire dont on espère une date de sortie française.

  • Hitchcock du public : Pili de Leanne Welham
  • Hitchcock shortcuts du jury : We love moses de Dionne Edwards
  • Mention spéciale du jury : The party d'Andrea Harkin
  • Hitchcock du public shortcuts : The Driving Seat de Phil Lowe
  • Hitchcock coup de cœur de l'association La règle du jeu : Seule la terre de Francis Lee
  • Hitchcock d'honneur : Jim Broadbent

Repart bredouille England is Mine, biopic sur les jeunes années d'adulte de Steven Morrissey, avant le succès avec le groupe The Smiths. Oeuvre dispensable, le film est intéressant puisqu'il sort du cadre du biopic classique en se concentrant sur la genèse d'un chanteur culte. Acerbe, cynique et foncièrement anti-social, le personnage séduit par son arrogance non dissimulée - "Je ne supporte plus d'être un génie méconnu" ou "Je n'ai pas de plan B, mon alphabet n'a qu'une lettre" - bien qu'il ne se donne pas les moyens de ses ambitions, pétrifié par la peur de l'échec. Si la bande son est terriblement efficace, la frustration demeure de n'entendre la personnage donner de la voix que quelques secondes.

Jawbone n'a pas eu les faveurs du jury et du public dinardais mais ce film sur la rédemption d'un boxeur devenu alcoolique et sans domicile fixe a de quoi séduire. Bien que le scénario ne renouvelle pas le genre, la prestation physique et sensible de Johnny Harris tient le film et lui donne du corps. Tout comme les scènes de combat, filmées au plus proche des boxeurs. Mention spéciale pour la séquence, sans ellipse, d'un combat décisif en plusieurs rounds. L'odeur du sang et de la sueur et le bruit des os qui craquent n'ont jamais semblé si réels.

Autre film de boxe de la compétition, Une prière avant l'aube, n'a pas remporté de prix, mais s'est assurément fait remarquer, après une sélection officielle à Cannes cette année. Le quatrième long métrage du français Jean-Stéphane Sauvaire suit l'arrestation et l'emprisonnement de Billy Moore jeune boxeur anglais incarcéré en Thaïlande pour détention de drogues, et est adaptée du roman autobiographique du boxeur. Difficile et bruyante plongée dans l'enfer carcéral, le film ne ménage pas le spectateur face à la violence, aux combats et aux jeux de pouvoirs de la prison. Une œuvre radicale sur la rédemption et l'abnégation.