Hubert Charuel nous raconte son Petit Paysan

Petite-fille d'agriculteurs, j'ai été submergée par ce drame poignant. Avec "Petit Paysan", Hubert Charuel réussit à provoquer les plus intenses sentiments. Son premier long-métrage nous emmène en campagne, mélange les genres, traite de manière particulière de la relation de l'homme à l'animal, et nous offre une fable, rurale, réaliste, une critique habile et émouvante de notre société. Echange (sur une aire d'autoroute) avec un cinéaste prometteur, authentique, et remarquable.

Hubert Charuel nous raconte son Petit Paysan
© COLLET GUILLAUME/SIPA

Est-ce que vous pouvez résumer votre film en une phrase ?
C'est l'histoire de Pierre, jeune agriculteur qui va faire tout ce qu'il peut pour sauver son troupeau de vaches, gagné par une épidémie.

Est-ce que Pierre est un héros ?
C'est le personnage principal, mais il a deux casquettes. C'est un héros, parce qu'il sauve un troupeau de vaches, et un anti-héros parce qu'il doit tuer les choses auxquelles il tient le plus.

Swann Arlaud l'incarne avec brio, comment votre choix s'est-il porté sur cet acteur ?
Il fallait croire aux gestes du personnage, donc à la base, j'étais plutôt parti sur un acteur non-professionnel, puis on s'est rendu compte que c'était une partition très compliquée. Quelques personnes auraient pu être intéressantes, mais ça nécessitait de réécrire entièrement le scénario. Puis ma directrice de casting m'a parlé de Swann. Je l'ai rencontré, on s'est très bien entendus. Il a passé les essais… Il avait tout compris : l'humour, le drame, les nuances. Swann a un éventail de jeu  incroyable. A la fin de l'entretien, il m'a dit, motivé : "si je dois jouer ce rôle, il faut que je prenne du muscle, il faut que je fasse un mois de stage à traire des vaches, sinon on ne me croira jamais…"

C'est une performance physique...
J'ai grandi avec les vaches, c'est naturel pour moi.  Du coup, je ne remarque pas forcément l'effort et les choses un peu "magiques" à ce niveau-là. Swann n'avait absolument pas peur des animaux. Il avait une forme d'aisance, un sens du contact. J'ai compris que c'était quelque chose d'hyper important, puisque des acteurs sont venus visiter la ferme et se cachaient derrière moi. Swann était hyper doué, "le meilleur stagiaire qu'on ait eu", m'ont dit ceux qui l'ont accueilli. Il a assisté à la chute d'une vache qui s'est blessée. Il fallait absolument qu'elle se relève. Il a vu cette forme d'impuissance à ne pas pouvoir relever une bête qui fait 600 kilos. Il est devenu triste, en colère, hyper agressif, il tapait dans les murs… Il avait tout compris de la détresse de l'agriculteur.

Un autre personnage important est celui de la sœur de Pierre jouée par Sara Giraudeau. Pascale est vétérinaire, elle s'inscrit dans une posture hygiéniste...
C'est un personnage hyper compliqué. Le vétérinaire est le partenaire numéro un de l'éleveur laitier. S'il y a du lait, c'est qu'il y a une lactation, qu'une vache porte un veau ou a mis bas. A travers ce suivi gynécologique, c'est le premier interlocuteur. Il est responsable des autorités sanitaires, de protéger la population au niveau sanitaire. Moins dans l'affect, plus à distance, elle est la raison face à la passion.

C'est le paradoxe de ce film : l'amour des bêtes se confronte à la nécessité de les éliminer, c'est une difficulté à laquelle vous avez été confronté ou une pure fiction ?
C'était pour aborder le principe de précaution. A l'époque de la vache folle, j'étais petit garçon et voyais à la télé qu'un seul animal malade condamnait tout le cheptel et donc la vie d'un agriculteur. Plus que la relation à l'animal ou l'éventualité de sa mort, c'est la question de la pérennité du troupeau et de l'exploitation que j'aborde. Car sinon, dans l'élevage, il faut savoir que les vaches qui ne produisent plus assez de lait, sont envoyés à la boucherie. Les bêtes vont à l'abattoir, c'est la réalité aussi.

L'héritage familial a été le moteur du scénario, vous avez tourné dans la ferme de Haute-Marne où vous avez grandi. Vos parents, vos amis jouent à l'écran… Pourtant, Pierre ne se tourne jamais vers son entourage, amical ou sentimental…
Il cache ses difficultés. D'une part, le secret est nécessaire à son action illicite. D'autre part, le fait qu'il ne sollicite pas ses parents montre que le personnage s'émancipe. Dans l'histoire, Pierre a 35 ans, il vit toujours chez ses parents et aimerait un plus grand espace de liberté. Quand un paysan reprend l'entreprise familiale, ses parents ses considèrent toujours comme "les chefs". Cette épidémie, c'est un peu le début du coupage de cordon, il se dit "maintenant c'est moi le responsable".

A partir du moment où l'une de ses "godelles" est atteinte, Pierre néglige complètement les relations humaines. Cette abnégation existe-t-elle ?
On commence le film avec quelqu'un, qui, malgré les copains, les filles, ne semble bien, à l'aise, apaisé, qu'avec ses animaux. Un vétérinaire m'a dit : "Je vois des choses aberrantes dans les fermes. Il faut arrêter l'obsession sur les animaux". Ces mecs vivent reclus chez eux et se retrouvent sur des forums spécialisés pour parler des bobos de leurs bêtes. Les hypocondriaques de la vache existent vraiment.

Je vous renvoie au tournage, s'il y avait deux anecdotes à retenir : un moment de grâce et une difficulté rencontrée ?
Un moment de grâce… le vêlage.On a fait trois nuits blanches, d'angoisse, parce qu'on attendait que notre vache gestante mette bas. Un accouchement, ce n'est pas une science exacte. On ne déclenche pas, on laisse faire les choses naturellement. Parfois le veau sort en trois secondes, ou mort-né, cela aurait pu mal se passer… Swann a maîtrisé le sujet parfaitement. Il a fait naître un veau au plus près du scénario, sans anxiété. Toute l'équipe était hyper émue. Une chose compliquée ? La nécessaire patience lorsqu'on travaille avec 25 vaches. C'était un tournage technique et éprouvant.

Fils unique d'éleveurs laitiers, quelles sont les valeurs qui vous ont été inculquées ?
Une forme de loyauté …Être loyal, respectueux et humble, c'est mon héritage familial.

Un film a-t-il été le déclencheur de votre vocation ?
Le film fondateur, c'est mon premier souvenir au cinéma,
Croc-Blanc réalisé par Randal Kleiser, en 1991, déjà une histoire d'homme et d'animaux...

Vous êtes fier aujourd'hui ?
Oui, je suis fier. Fier, d'avoir mis en lumière ces agriculteurs qui transforment leurs produits, qui gèrent une exploitation à taille humaine. Fier de ce premier long-métrage, aussi. Quand on naît dans une exploitation à 30 km d'un cinéma, on ne peut imaginer cela. Et enfin, fier d'avoir fait ce film en famille. Tous ceux qui ont participé à ce projet sont des gens avec qui j'ai grandi à l'école, que ce soit la scénariste, le chef opérateur, le compositeur de la musique, l'ingénieur du son, les monteurs... Ma mère joue devant la caméra, mon père, mon cousin, mes amis d'enfance, mon grand-père,…

D'ailleurs, je pense que votre grand-père peut commencer une carrière d'acteur professionnel…
Il travaille déjà beaucoup (rires) !

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