Gabriel Arcand (Le Fils de Jean) : allô ! Papa, bobo

C'est un acteur de théâtre, rare au cinéma, qu'est allé chercher Philippe Lioret pour tenir l'un des rôles titres de son nouveau film, "Le Fils de Jean". Rencontre avec Gabriel Arcand, bien moins bougon que son personnage.

Gabriel Arcand (Le Fils de Jean) : allô ! Papa, bobo
© Lucas Lauer/Journal des Femmes

C'est un grand Monsieur qui nous sert la main, tout amusé d'avoir trouvé dans sa chambre d'hôtel un bon pour un soin dans un institut de beauté. "Je vais me faire faire une pédicure", lance Gabriel Arcand à Philippe Lioret, le réalisateur qui, après l'avoir vu dans le film Le Démantèlement, s'est dit "s'il ne peut pas ou ne veut pas le faire, je ne le fais pas". Un grand Monsieur souriant, avenant et loquace, à l'exact opposé du rôle de Pierre, expéditif, taciturne et râleur, qu'il interprète dans Le Fils de Jean. Ce père de famille vient de perdre son meilleur ami et se doit d'honorer l'une de ses volontés : retrouver son fils illégitime et lui remettre un colis. Mauvaise pioche, le fils débarque à Montréal bien décidé à faire la connaissance de ses frères dont il vient d'apprendre l'existence. Une histoire de secrets de famille comme il en existe beaucoup, à laquelle Philippe Lioret, aidé par un casting parfait et un œil qui sait sublimer les paysages saisissants du Québec, injecte toute sa sensibilité et sa délicatesse. Le Fils de Jean s'inscrit dans la lignée de Je vais bien ne t'en fais pas, Welcome ou Toutes mes envies, les derniers longs-métrages du réalisateur, et confirme le statut particulier de Lioret dans le cinéma français. Un cinéma que n'hésite pas à dézinguer notre joyeux luron venu de Montréal. 

Gabriel Arcand interprète Pierre, bien décidé à ce que Mathieu reste discret © Fin aout productions/Sebastien Raymond

Le Journal des Femmes : Qu'est ce qui vous a fait accepter le rôle ? 
Gabriel Arcand :
Je fais toujours la même blague : "l'argent" (rires)... Mon dieu non ! C'est toujours particulier de se faire proposer un film depuis la France, ça vient de très loin. Donc j'y ai prêté une attention particulière. On s'attend aussi à ce que le réalisateur ait des attentes particulières. Philippe m'a fait envoyer le scénario chez moi. Je l'ai trouvé intelligent, bien écrit et avec soin. J'ai également senti que le thème le concernait. Le père, la mère, les enfants, ce sont des thèmes qui l'habitent, c'est son monde, c'est proche de lui. Ce n'est pas un film avec des revolvers, des poursuites et Arnold Schwarzenegger. Il sait de quoi il parle, ça m'a happé. Je n'avais pas encore vu de film de lui, mais il est venu à Montréal pour discuter avec les co-producteurs du film et on s'est bien entendus. Il est chaleureux, attentif, c'est après m'avoir vu dans un film d'auteur, Le Démantèlement, qu'il a pensé à moi pour le rôle.

Oui, il a confirmé que sans vous, il n'aurait pas fait le film...
Il a trouvé une correspondance entre mon personnage dans Le Démantèlement et celui qu'il était en train d'écrire. Il me l'a dit quand on s'est rencontrés, mais ce n'est pas ça qui m'a fait prendre cette décision. C'est le scénario tel qu'il était que j'ai aimé et notre rencontre. Après ça, il a fait le reste de son casting, avec beaucoup de soin d'ailleurs. Il m'a consulté par moment, c'était des gens que je connaissais comme Marie-Thérèse Fortin, qui interprète ma femme et avec qui j'ai joué au théâtre. Par la suite, il a été très à mes idées et celles des autres acteurs au moment des lectures. Ça a été à l'image du tournage. Même si on faisait des longues journées, parce qu'on tournait la nuit et qu'il n'y avait pas des moyens énormes, tout s'est bien passé entre les différentes équipes. Il n'y a pas eu de crises et d'acteurs qui part dans sa roulotte en criant. Isabelle Adjani ne jouait pas dans le film (rires).

Le film se dénoue dans les dernières minutes. Qu'en avez-vous pensé lors de votre toute première lecture ?
Si ma mémoire est bonne, parce que ça date de deux ans maintenant, je crois me souvenir avoir compris de quoi il s'agissait avant la fin de la lecture. Je me suis dit que si Philippe en fait un film c'est qu'il y a plus que ce qu'il nous donne à voir au début. Je n'étais pas comme un spectateur passif puisque j'ai été sollicité pour jouer un rôle, donc ça influence ma lecture. Un vrai spectateur ne fait pas toute cette démarche. 

Pour plusieurs raisons on peut trouver votre personnage Pierre égoïste ou lâche. Est-ce que vous comprenez ses choix ?
Il est assez emmerdé par la visite de Mathieu. Mais parce ça ne se passe pas en France, il ne peut pas crier, s'engueuler avec sa femme, divorcer ou se battre pour des histoires d'héritage, ça c'est chez vous, des choses qui arrivent dans votre cinéma, dans un film avec Catherine Deneuve (rires). Puisque l’histoire se passe à Montréal c'est différent. Au final il est comme tous les être humains, à la fois lâche et courageux. Abandonner le métier de médecin pour devenir acupuncteur en milieu de carrière et changer de vie c'est courageux par exemple. Pour d'autres raisons il est lâche. Selon les moments, les écueils ou les situations, on est courageux ou lâche. Le film montre bien la vraie vie et c'est important de la montrer. On ne voit souvent que des revolvers, ou des crises sans fondements au cinéma. On sent l’humanité de Philippe dans le film, ce n'est pas souvent au cinéma. Et c'est important de montrer de telles choses, surtout en ce moment avec la France qui a été tellement éprouvée par des tragédies terribles. A la télévision on ne voit que des choses qui "font la nouvelle" : des morts en Syrie, en Turquie, cent morts à Nice, cent morts à Paris... Il faut faire la Une sans cesse. Ce film, ce n'est pas ça. 

Gabriel Arcard et Pierre Deladonchamps sur le tournage © Fin aout productions/Sebastien Raymond

Avez-vous besoin de comprendre un personnage pour l'interpréter ?
Je ne peux pas jouer à l'instinct, c'est un processus de création artistique. On ne décide pas ça sur l'envers d'une pièce de monnaie. On reçoit le scénario, on y pense, on le mijote, on y réfléchit des heures, on s'informe, on recherche. C'est un processus psychologique qui se fait pendant des jours et même pendant le tournage. Tu rentres dans un univers, et ça se met en branle dans ton cerveau. Pendant les lectures aussi, on a échangé beaucoup avec les autres acteurs. Physiquement aussi, dans le corps, tu construis un puzzle pour te mettre dans l’esprit du personnage en fonction du moment du tournage, de la scène et de l'état dans lequel doit être le personnage. Après peut-être qu'il y a des acteurs, qui y vont à l'instinct, peut-être un acteur de comédie comme Dany Boon. Moi je ne peux pas faire ça. Et le cinéma, à l'inverse du théâtre, ça reste. C'est imprimé pour l'éternité. Il faut beaucoup de soin et d'attention. 

Quel est le personnage qui vous ressemble le plus ou dont vous vous sentez le plus proche dans le film ? 
Je n'ai pas pensé aux autres. Je ne me suis pas mis à leur place...

Et votre personnage, vous trouvez qu'il vous ressemble ?
Oui ! C'est un mélange de ténacité et d'insouciance. C'est très proche de moi ça. C'est un peu paradoxal, mais je suis vraiment fait de ça. Il peut être lâche comme je peux l'être mais il prend soin de sa famille aussi. 

Quels sont les réalisateurs français dont vous appréciez le travail ?
Il n'y en a pas tant que ça. Ce sont des films surtout que j'ai beaucoup aimés. Welcome est mon film préféré de Philippe. L'emploi du temps de Laurent Cantet, la série P'tit Quinquin de Bruno Dumont, je l'ai trouvée géniale... Ses premiers films aussi me plaisent, mais pas les autres. Il y a des films qui ne sortent pas chez nous, comme ceux de Pierre Salvadori, dont j'entends beaucoup de bien, comme Dans la cour. Pierre (Deladonchamps, ndlr) m'a parlé du film d'Emmanuelle Bercot, La tête haute, mais je ne l'ai pas vu. Le bal des actrices de Maïwenn, j'ai beaucoup aimé, mais pas son dernier, Mon roi. J'ai arrêté au bout de vingt minutes. De Bertrand Bonello, j'ai beaucoup aimé Tiresia, mais moins les autres. Les films d'Audiard, c'est mauvais ! C'est imbuvable. C'est plus des films que des œuvres complètes comme Godard ou Renoir qui me plaisent. Et on ne peut pas toujours demander à un réalisateur le génie. Ce n'est pas Fellini ou Buñuel. Tu ne peux pas demander ça à quelqu'un, comme à un romancier. 

Concernant les acteurs aussi ? 
Oui c'est pareil. J'aime beaucoup Yvan Attal, il est déglingué, très juste. Mais il y a peu d’acteurs français que j'aime bien. Je les trouve trop nonchalants, les acteurs à la mode n'évoquent rien, je ne les connais pas assez cela dit. Je n'aime pas du tout Pierre Deladonchamps non plus, vraiment pas (rires).

Regardez la bande-annonce de Le Fils de Jean, au cinéma le 31 août 2016 :