Piero Messina, une attente lumineuse

Assistant réalisateur de Paolo Sorrentino sur "La Grande Belleza", Piero Messina signe avec "L’Attente", son premier long-métrage. Porté par deux actrices lumineuses : Juliette Binoche et Lou de Lâage, ce film présenté en compétition à la Mostra de Venise, est à découvrir en salles.

Piero Messina sur le tournage de L'Attente 

L'Attente, premier film de Piero Messina, raconte comment Anna, choisit de taire la mort de son fils Giuseppe à celle qu'il aimait. Mère et belle-fille se retrouvent alors à l'attendre dans une maison sicilienne coupée du monde. Les deux femmes vont apprendre à se connaître, à s'apprivoiser et à cultiver le mensonge sous forme de non-dit. L'esthétique chaude, les clairs-obscurs, la beauté des images et les plans très travaillés de L'Attente contrastent avec la violence du récit. Piero Messina réalise un premier film intense tant au niveau de la forme que du fond. 

Le Journal des Femmes : Comment êtes-vous arrivé dans le monde du cinéma ? 
Piero Messina : J'ai suivi un parcours plutôt classique, mais aujourd'hui je ne me considère pas comme un cinéaste, je dis toujours que je voulais être musicien. À l'âge de 16 ans j'empruntais la caméra de mon père, sans ambition particulière, parce qu'il n'y avait pas grand chose à faire dans mon village de Sicile. Puis j'ai intégré le "Centro Sperimentale di Cinematografia" et réalisé plusieurs courts-métrages dont certains ont été bien reçus en festivals. Je fais du cinéma en pensant toujours revenir à la musique. 

Comment vous-êtes vous réapproprié la pièce de théâtre La vie que je t'ai donnée de Luigi Pirandello dont est inspiré L'Attente ?
La pièce de Luigi Pirandello est arrivée bien après, j'avais déjà écrit le scénario de L'Attente et c'est un ami qui m'a parlé deLa vie que je t'ai donnée. Je n'ai pas voulu la lire, mais je l'ai transmise aux autres scénariste du film. La pièce nous a ainsi permis de restructurer le scénario, elle est venue achever le travail plus que l'initier.
Le véritable point de départ de L'Attente me vient d'un récit que m'a fait un ami musicien il y a plusieurs années. Il s'agissait d'un père qui a perdu son fils et qui au lendemain des funérailles refuse d'en parler. Sa famille, pour respecter son silence décide d'en faire autant. C'est une histoire qui m'a énormément marqué et à laquelle j'ai beaucoup repensé. Je l'ai ensuite associée à mon souvenir d'enfance de la cérémonie de procession de Pâques.   

Juliette Binoche et Lou de Lâage

Pourquoi avoir choisi la figure de la mère plutôt que celle du père comme dans l'histoire initiale ?
J'ai choisi une femme parce que certainement aucun homme n'aurait eu le courage de faire ce que fait Anna. L'amour maternel est la forme la plus puissante, la plus instinctive, la plus naturelle d'amour.

L'Attente est un film sur la croyance et cela s'illustre de manière hyperbolique lors de la procession de Pâques à laquelle Anna assiste.
Pendant cette cérémonie, 10 000 personnes commencent à croire ensemble que le morceau de bois représentant le Christ prend vie. C'est ce moment de partage qui compte, le moment où lorsque l'on croit tous en quelque chose cela devient une vérité. C'est ce qui se passe chez  Anna qui choisit de croire en une vérité alternative.

 

Quel est votre rapport au mensonge ?
De la même manière que le personnage interprété par Juliette Binoche dans le film, le mensonge est intéressant s'il est construit et partagé. Il devient alors une sorte de récit, de représentation. Sinon cela ne m'intéresse pas.

Juliette Binoche était une évidence pour incarner le personnage d'Anna ?
Oui, il y a très peu de parole dans L'Attente, tout se passe dans le sous-texte, les silences, les pauses, pour moi c'était la meilleure actrice dans ce registre. Je voyais son visage même si je ne la connaissais pas.
Travailler avec elle était quelque chose de nouveau, c'est une actrice si puissante que l'on ne peut pas la limiter dans ses propositions de jeu, mais je devais être vigilant parce que le film tient sur énormément de détails et de précisions. On a donc beaucoup répété. Juliette Binoche a une capacité impressionnante à simuler la douleur à tel point que j'avais parfois l'impression d'être véritablement face à une mère en souffrance.

A posteriori quel regard portez-vous sur votre premier film ?
Ce qui compte pour moi c'est de savoir si l'on a fait un film honnête et je crois que c'est le cas pour L'Attente. Je me suis impliqué dans le film, j'ai ressenti des émotions, j'ai pleuré avec Juliette. Si je devais le refaire je m'y prendrais de la même manière. Bien sûr, j'en ai tiré des leçons, mais se sera pour le prochain film.

Vous avez assisté Paolo Sorrentino sur le tournage La Grande Belleza. Qu'avez-vous appris à ses côtés ?
Il m'a permis de me libérer de la super structure que représente une équipe de tournage et d'assumer pleinement mon rôle de réalisateur. C'était moi face à ce petit écran et rien d'autre.

La beauté chez la femme a-t-elle un âge ?
Si l'on pense la beauté en fonction de l'âge on l'instrumentalise. La beauté est bien plus que cela. C'est pour cela que je voulais travailler avec Juliette. C'est quelqu'un qui ne s'est jamais soucié de cela et qui de ce fait est la plus belle.

Découvrez la bande-annonce de L'Attente :  

"L'attente : bande-annonce"