Valérie Donzelli : "Je voulais parler d'un amour différent"

Après avoir déchaîné les passions sur la Croisette au mois de mai, "Marguerite et Julien", le quatrième film de Valérie Donzelli, sort en salles mercredi 2 décembre 2015. Cette histoire d'amour incestueuse entre un frère et une sœur, inspirée d'une histoire vraie, devrait embraser les spectateurs. Le Journal des Femmes a interviewé la réalisatrice.

Valérie Donzelli, au Festival de Cannes 2015 © Lionel Cironneau/AP/SIPA


Marguerite et Julien de Ravalet. Leur nom sonne comme des héros moyen-âgeux, leur destin est tout aussi violent. Les personnages du quatrième film de Valérie Donzelli, Marguerite et Julien, en salles ce mercredi 2 décembre, ont vécu à la fin du XVIe siècle. Leur amour et leur passion, condamnés par la morale, leur ont valu les foudres de la société de l'époque. Car Marguerite et Julien étaient frère et sœur. Leur complicité enfantine s'est peu à peu transformée en passion dévorante, passion pour laquelle ils ont été exécutés, à Paris, en 1603. De ce fait divers, Valérie Donzelli tire un superbe film d'amour, tragique et intense, relevé par un usage habile de l'anachronie. Dans les salons du château familial résonne ainsi l'écho d'un poste de radio et les amants incestueux, s'ils se déplacent en calèche, sont arrêtés par des forces de l'ordre débarquées par hélicoptère. Anaïs Demoustier et Jérémie Elkaïm, ancien compagnon de Valérie Donzelli, incarnent avec passion des personnages tourmentés par leurs sentiments. Marguerite et Julien, Anaïs et Jérémie, Valérie et... Le Journal des Femmes.  Nous avons rencontré la réalisatrice. 

Comment avez-vous découvert l'histoire de Marguerite et Julien et pourquoi avoir décidé de l'adapter au cinéma ?
Valérie Donzelli :
On m'a offert le livre pour mon anniversaire, il y a trois ou quatre ans. Cet opus était en fait le scénario que Jean Gruault [scénariste de la Nouvelle Vague, ndlr] avait écrit sur l'histoire de Marguerite et Julien. J'ai appris après que c'était une histoire vraie, un fait divers. Quand j'ai lu ce livre, je me suis rendu compte que cette histoire correspondait à des thèmes qui m'étaient chers et que je pouvais me l'approprier. J'ai eu envie, de façon assez immédiate, de faire un film qui ne serait pas une reproduction historique. Un film qui m'autoriserait des choses différentes dans la forme.

Le scénario était au départ destiné à François Truffaut, mais le projet n'a pas abouti. Pourquoi ?
On était au début des années 70. Truffaut trouvait que le sujet était trop à la mode et le contexte historique le barbait un peu parce que c'était le XVIe et le XVIIe siècle. Il n'avait jamais fait de film d'époque comme ça et pensait que c'était trop lourd, trop compliqué. Ca ne l'intéressait pas.

L'évolution des mœurs et des mentalités a-t-elle rendu le tournage du film plus facile en 2015 que dans les années 1970 ?
L'inceste est un tabou universel, il l'a toujours été et le restera toujours. C'est aussi ça qui m'intéressait.

Dans votre réalisation, pourquoi avoir introduit des anachronismes et ne pas avoir joué la carte du tout historique ?  
Je n'avais pas envie de faire de reconstitution historique parce que ce n'est pas tellement le cinéma que je sais faire. Je pense qu'il y a des gens qui le font mieux que moi et j'avais envie d'autoriser quelque chose de différent. Mon inspiration s'est dirigée naturellement vers un film qui serait formellement audacieux.

L'histoire de Marguerite et Julien est racontée dans un dortoir de jeunes filles dans un orphelinat. Pourquoi l'avoir inclut dans un récit à double niveau ?
Je me suis rendue compte en lisant les différentes versions de l'histoire de Marguerite et Julien que les récits variaient d'un livre à l'autre. Je me suis dit que chercher la véracité de l'histoire n'était pas forcément une bonne chose, mais ce qui était sûr, c'est qu'ils étaient presque des mythes. Ils étaient devenus une légende et j'ai eu envie de m'en inspirer, de l'incarner.

Diriez-vous que votre film raconte une histoire d'amour ou une histoire d'amour incestueuse ?
Le film raconte l'histoire d'un amour différent et ce que c'est que de vivre ça. Ca ne m'intéressait pas de traiter le thème de l'inceste. J'aurais peut-être été plus gênée de mettre en scène un inceste entre un père et une fille ou une mère et un fils. Le frère et la soeur sont de la même lignée. Je n'ai pas regardé l'étymologie du mot "inceste", mais c'est un mot qui fait peur car il évoque souvent un abus d'un adulte sur un enfant. Dans le film, ce qui était intéressant, c'était de parler d'un amour consenti des deux côtés. 

Votre deuxième film, La Guerre est Déclarée, a été très bien accueilli au Festival de Cannes en 2011. Cette année, Marguerite et Julien a reçu un accueil un peu plus tiède. Est-ce que cela vous a affectée ?
Oui, forcément, on ne peut pas dire que ça ne touche pas. Ca importe puisque c'est la première fois qu'un film est montré. Quand il est mal reçu, ça fait beaucoup de mal. Ce n'est pas agréable, mais c'est le risque du métier. Le public des avant-premières n'a pas du tout la même réaction, ça n'a rien à voir. D'ailleurs, la projection à Cannes c'est très bien passée, c'est la projection presse qui a été difficile. [De nombreux journalistes ont quitté la salle pendant la séance, ndlr].

Parlons du casting. Vous avez tout de suite pensé à Jérémie Elkaïm pour le rôle de Julien, mais celui de Marguerite a été attribué suite à un casting. Qu'est-ce qui vous a plu chez Anaïs Demoustier ?
Le personnage de Marguerite devait respirer la sainteté et la santé. Anaïs a ça. Elle dégage quelque chose d'extrêmement joyeux. Elle respire la vie cette fille. Elle a un truc comme ça avec ses joues, ses tâches de rousseur... Elle a quelque chose d'extrêmement beau et vivant.

Pourquoi n'avez-vous pas vous-même incarné Marguerite ?
Parce que je suis trop âgée pour ce rôle. J'ai 42 ans [Anaïs Demoustier en a 28, ndlr], je ne peux pas jouer une femme de 25 ans, ce n'est pas possible. Mais quand j'ai lu le scénario de Jean Gruault, la première chose qui m'a sauté aux yeux, c'est le personnage de Marguerite. Le rôle était magnifique et j'aurais adoré le jouer. C'est mon désir d'actrice qui m'a poussée à faire le film. J'avais envie d'offrir ce rôle à une actrice.

C'est la quatrième fois que vous travaillez avec Jérémie Elkaïm. Vous vous connaissez par cœur ou vous arrivez encore à vous surprendre ?
On pourrait encore se surprendre, on n'a pas complètement fait le tour de la question. Je l'ai un peu mis dans toutes les situations possibles. Il faudrait vraiment faire quelque chose de très différent.

Quelle casquette préférez-vous : celle de réalisatrice ou d'actrice ?                 
Ce que je préfère, c'est être réalisatrice et actrice, dans mon film. En fait non, je crois que j'adore tout. Mais n'être que réalisatrice, c'est un peu difficile parce qu'on se sent seule. Quand on joue aussi dans son film, on est au même niveau que les acteurs. Ca isole moins.

Vous avez fait des études d'architecture. Comment êtes-vous arrivée dans le milieu du cinéma ?
Je savais que je n'étais pas assez forte dans ce domaine pour en faire mon métier et depuis l'enfance, j'ai toujours aimé jouer la comédie. J'aurais aimé pouvoir démarrer plus tôt. [Valérie Donzelli a décroché son premier rôle en 2000 dans le film Martha... Martha, de Sandrine Veysset, ndlr].

Vous étiez déjà cinéphile avant de devenir comédienne ?  
Non, ça s'est fait avec la rencontre de Jérémie [Elkaïm, ndlr]. J'aime le cinéma, j'adore aller au cinéma et faire des films, mais je n'ai pas une grande culture cinématographique. Je suis cinéphile, mais je ne suis rien par rapport à des gens qui le sont dix fois plus que moi.   

Quels sont vos projets ?
Je n'arrête pas de changer d'idées. Quand on a beaucoup d'idées, ça veut dire qu'on n'en a aucune. J'ai lu des choses, mais je laisse un peu mûrir.

"Marguerite et Julien", au cinéma le 2 décembre 2015 © Wild Bunch Distribution