Hungry Hearts : Saverio Costanzo à coeur ouvert

Metteur en scène du film "Hungry Hearts", primé à la Mostra de Venise, Saverio Costanzo signe là son quatrième long métrage. Nous avons rencontré le réalisateur pour parler de cette œuvre perturbante, de son parcours et de son expérience de vie.

Saverio Costanzo est un vrai génie du cinéma. Né à Rome, ce metteur en scène est parti étudier à New York très jeune. Une aventure qui lui a fait ressentir le même sentiment de solitude qu'il reprend dans son film, Hungry Hearts, en salles le 25 février. Nous avons rencontré le cinéaste italien dans un hôtel parisien, où il nous a parlé de sa vie familiale et de son rapport au cinéma. Enrichissant.

Saverio Costanzo © PIA TORELLI/SIPA

Le Journal des Femmes : Pourquoi ce film ?
Saverio Costanzo : Le livre de Marco Franzoso, Il Bambino Indaco, m’a profondément marqué. Je n'avais pas songé à en faire un film car le sujet me semblait trop fort. Un jour, alors que j'étais malade, j’ai commencé à réécrire cette histoire restée dans mon cœur, puis je me suis penché sur l'adaptation pour la porter sur grand écran, en toute liberté. Je ne m'étais même pas renseigné pour savoir si quelqu'un avait déjà écrit le scénario.

Dans l'œuvre littéraire, l'histoire se déroule en Italie, tandis que le film est entièrement basé à New York, où vous avez vécu. Pourquoi ?
Je n'arrivais pas à visualiser cette histoire en Italie, à Rome ou à Padoue, parce que la violence de ces villes est plus intérieure qu'extérieure. New York est une ville plus brutale. Plus jeune, j'ai vécu trois ans là-bas et j'ai ressenti le même isolement, la peur de l'extérieur. Je souhaitais tourner le film avec Alba [Rohrwacher, ndlr], mais la protagoniste est étrangère dans le livre. J'ai donc pensé que tout devait rester identique afin de réussir à donner cet effet d’aliénation, ce déracinement des origines qui rendait le personnage plus complexe.

Ce n'est pas la première fois que vous réalisez un film adapté d'un livre. Quelle est la principale difficulté ?
Je ne sais pas s'il y a une difficulté. Je n’écris jamais avec le livre à côté de moi, mais avec le souvenir de ce que j'ai lu. Cela m'aide à me détacher. Le fait de lire me fait éprouver un sentiment que je recrée de manière identique à l'écran. Maintenant que j'arrive à avoir une vision objective de ce que je fais, je pourrais peut-être commencer à écrire un scénario sans m'inspirer de la littérature. Je me sens prêt à le faire.

Dans La Solitude des Nombre Premiers, vous abordez déjà le rapport à la nourriture, l'anorexie, les problèmes d'enfance et les mariages compliqués. Pourquoi retrouvons-nous ces thèmes dans Hungry Hearts ?
Je ne sais pas vraiment, put-être qu’un jour je le comprendrai. Je fais ce qui m’intéresse, mais j'arrive pas à comprendre les raisons profondes de ce que je fais. C'est vrai que dans mes films, même dans les deux précédents, il y a la thématique de la famille. C'est ça le dénominateur commun.

L'affiche du film au cinéma le 25 février © Bac Films

Votre père, Maurizio Costanzo, est l'un des piliers de la télévision italienne, l'un des meilleurs journalistes, metteurs en scène et présentateurs du pays. Quelle influence a-t-il eu sur vous ?
S’il a influencé ma vie, il l'a fait en me donnant une grande culture du travail. Professionnellement, j'ai tout fait sans aucune aide. Au début, mon nom me posait problème parce que les gens pensaient que j'étais pistonné. Cela m'a permis de dépasser mes limites : je devais être mieux que les autres, pas pour le résultat, mais parce que j'étais tout le temps "étiqueté". J'avais donc une responsabilité.

Et quels sont vos rapports avec la mère de vos enfants ?
Nos rapports sont parfaits, mais c'est le fait de devenir parents qui a été un choc. Aujourd'hui tout va pour le mieux avec mon ex-femme et mes fils, mais j'avoue avoir passé quatre années très compliquées. J'avais peur d'avoir un destin difficile, de répéter l'erreur de mes parents, séparés, et de ne pas réussir à interrompre cette chaîne. Cela aurait pu être aussi un dénominateur commun dans la genèse de mes films.

Ce choc de devenir parent, votre héroïne le ressent-il ?
Bien sûr. Je ne pense pas que ce soit si naturel de devenir parent aujourd'hui. On célèbre tout le temps l'instinct maternel et on ne se rend pas compte qu'on donne une responsabilité très importante aux femmes. Nous ne pouvons pas prétendre qu'elles sont comme les hommes et conserver cet instinct maternel. C'est le premier manque de respect que l'on fait aux femmes, et ce, parce qu'on ne se rend pas compte de combien ça peut être difficile pour elles de gérer tout ça. Le film parle de cette fragilité.

Peut-on définir votre film comme un documentaire sur les sentiments humains ?
Ce serait génial ! Cela voudrait dire qu'il a été réaliste et crédible. Je ne voudrais pas dire que ce film est un manuel des obsessions humaines, mais c'est vrai que c'est une histoire qui n'aurait pas pu exister dans les années 50, par exemple. Après la guerre, il n'y a aucune mère qui n'aurait pas donné à manger à son fils afin de le "purifier". L'histoire concerne la société actuelle.

Au début, vous ne faisiez que des documentaires. Quand avez-vous décidé de passer au long métrage?
Quand j'ai compris que je voulais vraiment faire ce métier, dans la Bande de Gaza. J'étais chez un homme qui a inspiré mon tout premier film, Private. Je voulais faire un documentaire sur son histoire et je lui avais demandé si je pouvais rester chez lui. Il avait refusé parce qu'il disait que c'était trop dangereux pour moi. Ce Palestinien habitait avec des soldats israéliens au-dessus, dans le même immeuble. Alors il m'a proposé d'en faire un film et j'ai accepté son idée. Le cinéma est un métier tellement grand qu'il a tout en lui : la solitude de l'écrivain, la sociabilité du groupe de travail, l'amour pour la musique, la photographie, la littérature. Dans le cinéma, tu peux mettre tout ce que tu aimes. C'est vraiment le septième art qui les contient tous. C'est pour cela que je ne me suis jamais arrêté.

Une dernière question, plus intime. Ca ne vous gêne pas de voir votre compagne, Alba, dans des scènes d'amour avec d'autres hommes ?
Et j'étais le metteur en scène ! Oui, ça me dérange, ce n'est pas facile. Il y a la confiance en l'autre, mais c'est l'une des choses que j'aime le moins, pour tout vous dire. Tant pis... on le fait quand même !

Découvrez un extrait d'Hungry Hearts, au cinéma le 25 février :

"Extrait 1 VOST, Hungry Hearts"