Bouasone est riziculteur au sein d'un groupe de communautés paysannes du
nord Laos. Sendao est le représentant du commerce équitable pour
le pays. A l'occasion de la quinzaine du commerce équitable, ils sont venus discuter
avec vous de leur fonctionnement et de leur travail quotidien.
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Photo © Agathe Azzis / L'Internaute
Magazine
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"Nous avons choisi le commerce équitable pour
nous protéger et garder notre mode de fonctionnement" |
Combien de paysans travaillent pour votre coopérative ?
Bouasone et Sengdao : Au Laos, nous avons 3000 familles,
producteurs de riz et d`autres produits (fruits de la passion...). La coopérative
du riz concerne environ 600 familles.
Comment êtes-vous venu au commerce équitable ?
Au sortir de la révolution, les coopératives collectivistes
étaient en échec. En 1978, notre association a décidé de faire des coopératives
libres, qui étaient illégales à l`époque (j'ai même fait de la prison).
Puis l'économie s'est ouverte au libéralisme au milieu des
années 80 et toutes les coopératives collectivistes ont été supprimées. Notre
groupe a continué, et nous avons choisi le commerce équitable pour nous protéger
et garder notre mode de fonctionnement. Par exemple, Ethiquable pratique le pré-financement,
ce qui évite aux paysans d'aller voir des usuriers. Les taux d`intérêt sont plus
intéressants qu'en passant par les banques où ils atteignent parfois 50 %. Avec
le commerce équitable, nous calculons le coût réel de production, qui est supérieur
au prix de vente local.
Est-ce que les enfants sont à l'école dans votre village ?
Oui, normalement tous les enfants vont à l'école, c'est la
loi. Mais en réalité, beaucoup d'enfants quittent leur scolarité en avance. On
manque de moyens : parfois il n'y a que le toit de l'école, et pas de chaises
ou de tables, ni de livres. Souvent, le commerce équitable permet la création
d'une école, et l'achat de matériel pour les enfants.
Combien de temps travaillez-vous par jour ?
Je travaille 8 heures par jour, mais il faut nuancer car les
heures sont très étalées en fonction de la chaleur et du climat. Quand la période
du riz arrive, les gens travaillent à partir de 4h car il fait moins chaud la
nuit. Quand il partent, ils disent qu`ils "marchent sur la tête du chien" car
le chien dort sur le palier, et au retour qu'ils marchent "sur la tête des grenouilles",
car il fait presque nuit
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Photo © Agathe Azzis / L'Internaute
Magazine
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"On ne vend que 30 % de la production de riz,
le reste c'est pour la consommation personnelle" |
Cultivez-vous autre chose que du riz ?
Un producteur au Laos produit 70 % de riz, les 30 %
restants sont du coton, des fruits... Mais on ne vend que 30 % de la production
de riz, le reste c'est pour la consommation personnelle.
Que se passe-t-il les années de mauvaise récolte ? Avez-vous
quand même un revenu ?
On ne vend jamais tout le riz d'un coup. On observe d'abord
le climat. Lorsqu'il est bon, on vend le riz ; sinon, on ne vend qu'une partie
pour avoir des réserves.
Est-ce que vous vendez aussi du riz non équitable ?
Oui, une partie du riz est vendue aux villages voisins. C'est
une pratique amicale qui existe entre les différents villages, notamment en cas
d'inondations. Certains de nos membres vendent également en dehors du commerce
équitable s'ils ont trop de production, car le commerce équitable, qui ne représente
que 0,01% du commerce mondial, ne peut pas toujours absorber la totalité de la
production.
Quelles sont les contraintes qui vous sont imposées en tant
que producteur ?
D'abord l'organisation démocratique des producteurs pour être
en liaison avec le réseau de commerce équitable européen. Ensuite l'environnement
: nous pratiquons l'agriculture biologique. La prime qui est donnée lors de la
vente du riz doit être utilisée pour la communauté, comme par exemple pour la
mise en place d'un réseau d'eau potable, la réparation des écoles ou des pagodes,
etc
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Le riz "Petit Poussin" Photo © Ethiquable
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Que pensez-vous des supermarchés en France ?
Les supermarchés ici sont très riches et très beaux... J'aimerais
qu'il y en ait des comme ça au Laos !
Est-ce que les femmes aussi cultivent du riz ?
Dans le village, le travail des femmes et des hommes est le
même. En revanche, les femmes travaillent plus sur des tâches comme le repiquage
du riz où il faut de la précision pour ne pas casser le riz. Les hommes font les
choses nécessitant de la force comme tirer les buffles.
Est-ce que vous avez des moyens mécaniques (tracteurs, etc)
ou tout est fait à la main ?
On se sert majoritairement des buffles : c'est plus pratique
car les villages sont éloignés et les buffles ne fonctionnent pas à l'essence
mais à l'herbe ! Les buffles représentent par ailleurs une sorte de banque, car
on peut les revendre quand par exemple un membre de la famille est malade.
Est-ce que votre riz est du riz parfumé comme le riz thaï
ou basmati ?
L'un de nos riz, qui s'appelle "Petit Poussin", vient de sortir
sur le marché, même s'il a toujours existé dans nos villages. Notre but c'est
de valoriser les riz traditionnels. Celui-ci a un goût de noisette, mais n'a rien
à voir avec le parfum du riz thaï.
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Photo © Agathe Azzis / L'Internaute
Magazine
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"Nous ouvrons des boutiques de vente locale, qui
attirent les touristes et font connaître nos produits" |
Quelle aide vous apporte Ethiquable concrètement ? Combien
de fois les voyez-vous par an ?
Cette année les représentants d'Ethiquable
sont venus déjà deux fois. D'autres organismes de contrôle comme Flo-Cert viennent
vérifier comment la prime a été utilisée, et si les standards fixés ont été respectés
(utlisation d'engrais biologiques...)
Est-ce que vous êtes en concurrence
avec les Chinois ?
Pour le moment, nous sommes tellement petits que nous ne concurrençons
personne. Pour le marché équitable, nous sommes les seuls au Laos. Pour être concurrencé,
il faudrait que le marché se développe. Aujourd'hui certains paysans voudraient
rejoindre le réseau, mais le marché n`est pas encore assez développé pour le leur
permettre.
Quels sont les prochains projets de votre coopérative ?
Actuellement notre projet est de renforcer le groupe de producteurs
solidaires. Par exemple nous produisons maintenant notre propre engrais biologique
dans un centre commun. Dans chaque groupe, nous ouvrons des boutiques de vente
locale, qui attirent les touristes et font connaître nos produits. Avec la prime
nous créons un réseau d'eau potable, ainsi qu'une maison d'accueil où il sera
possible de vendre les produits.
Qu'aimeriez-vous que vos enfants fassent comme métier ?
J'aimerais qu'ils apprennent comment transformer le produit
pour pouvoir mieux le vendre. Nous ne faisons encore que fournir la matière première
mais pour le reste nous manquons de compétences. La transformation (comme par
exemple la transformation des fruits en confiture) apporte une valeur ajoutée
aux produits.
Bouasone et Sengdao : okdi lèk lakone ! (cela veut dire
bonne chance et au revoir)