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"La question du partage des tâches doit être abordée dès le début de la vie en couple"
Conseillère conjugale et auteur d'un essai sur le partage des tâches, "Ces femmes qui en font trop..." (Ed. La Martinière), Catherine Serrurier nous parle de la difficile répartition du travail ménager entre les hommes et les femmes. (Novembre 2003)

Vous êtes conseillère conjugale. Qu'est-ce que cela veut dire exactement ?
Catherine Serrurier En fait, je suis thérapeute de couple. Un conseiller conjugal est chargé d'aider les couples ou un membre du couple à résoudre une crise. Un thérapeute de couple effectue un travail plus approfondi. Il aide à comprendre ce qui se passe à la fois dans son propre fonctionnement et dans celui de son couple. Depuis une dizaine d'années les, couples sont de plus en plus nombreux à consulter ensemble. Je rencontre aussi de plus en plus d'homme. Ils représentent environ 25 % de mes patients.

Quelles sont les principales attentes des gens qui viennent vous voir ?
Je rencontre des personnes confrontées à des crises conjugales graves qui mènent à la séparation ou au divorce. Ils viennent me voir d'eux-mêmes ou sur les conseils d'un juge afin de mieux vivre ce moment difficile. Ils ont besoin qu'une tierce personne, neutre et bienveillante, les aide à clarifier leurs sentiments et leur situation. Contrairement à ce que l'appellation "conseiller conjugal" peut laisser entendre, je ne leur dis pas ce qu'il faut faire. Je peux éventuellement leur donner des conseils sur le plan juridique. Mais mon rôle privilégie la réflexion sur l'action.

Y a t-il des couples qui viennent vous voir pour des problèmes de "partage de tâches" dans leur ménage ?
Non, pas directement. On vient me voir pour des problèmes sexuels, d'adultère, de conflit avec la famille, de désaccord sur l'éducation des enfants… Mais quand on creuse un peu, on arrive aussi souvent à un problème de mauvaise répartition des tâches à la maison.

Où en est-on du "partage des tâches" aujourd'hui selon vous ?
Quand on regarde les chiffres, on voit que les femmes effectuent encore les deux tiers du travail domestique : 70% du travail ménager et 60% des tâches éducatives. En une décennie, le temps passé par les hommes aux tâches ménagères a à peine augmenté de 10 minutes par jour...

Pourquoi les hommes en font-ils si peu ?
Ce ne sont pas les tâches en elles-mêmes qui rebutent les hommes, mais ce qu'elles représentent. Il y a toujours l'image de la femme servante et esclave… Le partage des tâches, ça fait du mal à leur ego. Il faut toutefois noter que, pour l'éducation des enfants, les hommes s'impliquent de plus en plus.

C'est aussi une question d'éducation, non ?
Oui, c'est vrai que ceux qui partagent le plus, ce sont ceux qui ont eu des parents modèles qui avaient le souci d'élever leurs enfants, filles et garçons, de la même façon. Mais, attention, il y a un fossé entre la théorie et la pratique. Moi-même, qui suis féministe, je me suis rendue compte que, malgré moi, je n'ai pas élevé de la même façon mes trois filles et mon garçon.

Les femmes sont donc en partie responsable de cette situation ?
Les femmes ont intériorisé l'idée qu'elles doivent faire tout et le mieux possible à la maison et pour les enfants. C'est une question d'éducation, de modèle maternel, d'inconscient collectif. Et finalement, beaucoup de femmes ont du mal à se faire aider.

La situation varie aussi en fonction des milieux sociaux, non ?
Oui, je travaille beaucoup en Bourgogne, en milieu rural. Plus c'est rural, plus c'est traditionnel, plus on a du mal à se défaire de cette image de la femme qui dirige la maison. Mais il y a des femmes au foyer qui l'ont choisi et qui sont très heureuses. Pour schématiser, les femmes qui ont de l'ambition professionnelle, souffrent facilement de surmenage ; tandis que les femmes qui ne se posent pas de question sur le partage des tâches ont une vie plus équilibrée.

Quel enjeu se cache derrière le problème du "partage des tâches" ?
Un enjeu de pouvoir évidemment. La femme qui a la gestion de la maison a un grand pouvoir : c'est elle qui sait faire marcher la machine à laver, c'est elle qui sait ce qui est bon à manger, c'est elle qui sait que le fiston a un examen de maths le lendemain… Et elle a du mal à partager ce pouvoir. Inconsciemment, si elle voit que son compagnon fait aussi bien qu'elle, elle va se sentir dépossédée. Il y a là un paradoxe : en théorie, la femme réclame le partage des tâches, mais dans la pratique elle a besoin d'en faire plus pour se sentir le meilleur parent, la meilleure ménagère. En plus, instaurer un partage des tâches équilibré dans un couple demande beaucoup de dialogue et d'organisation.

Comment les femmes qui le souhaitent doivent-elle s'y prendre pour rééquilibrer le fardeau domestique ?
La question du partage des tâches doit être abordée dès le début de la vie en couple. Les jeunes couples, qui sont amoureux et se soucient peu des questions matérielles, pêchent par ignorance et inconscience. Ils ne se rendent pas compte à quel point c'est compliqué de gérer un ménage. Comme pour construire une maison, il faut dresser des plans, faire des comptes… Les couples doivent aborder dès le début ce sujet, éventuellement en faisant une liste de répartition des tâches. Et les femmes ne doivent pas se mettre à faire d'emblée les tâches ménagères !

Dans votre livre, vous dîtes que l'arrivée du premier enfant va encore plus compliquer les choses. Pourquoi ?
Malgré tout ce qu'on a pu dire sur les "papas poules" ou les "nouveaux pères", ce sont toujours les femmes qui s'occupent le plus des enfants. A partir de la maternité, les rôles sont bouleversés car la femme est à la maison et fait plein de choses. Le risque est que ces rôles se figent. Or la maternité est une situation temporaire, il faut rester vigilante quant à la répartition des tâches.

Comment voyez-vous l'évolution du "partage des tâches" ?
Je pense que la situation va progresser car les jeunes s'intéressent à la question. Ils ont reçu une éducation qui les y a davantage sensibilisé. Sur le plan professionnel, je pense qu'on arrivera à une égalité de salaire, mais sur le plan de la maison, je ne pense pas qu'on arrivera un jour à un partage des tâches équitable. Cela tout simplement parce que les hommes et les femmes sont différents. Des études américaines ont montré par exemple que les hommes, contrairement aux femmes, ne voient pas les détails et qu'ils sont plus tournés vers les travaux extérieurs (centrifuge), alors que les femmes sont davantage tournées vers l'intérieur (centripète).

LE LIVRE
Ces femmes qui en font trop...
Ed. la Martinière
256 pages, 17 euros

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Propos recueillis par Emilie Godineau
 
 
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