Vous êtes conseillère conjugale. Qu'est-ce que cela veut
dire exactement ?
Catherine Serrurier En fait, je suis thérapeute de
couple. Un conseiller conjugal est chargé d'aider les couples
ou un membre du couple à résoudre une crise. Un thérapeute
de couple effectue un travail plus approfondi. Il aide à comprendre
ce qui se passe à la fois dans son propre fonctionnement et
dans celui de son couple. Depuis une dizaine d'années les,
couples sont de plus en plus nombreux à consulter ensemble.
Je rencontre aussi de plus en plus d'homme. Ils représentent
environ 25 % de mes patients.
Quelles sont les principales attentes des gens qui viennent
vous voir ?
Je rencontre des personnes confrontées à des crises conjugales
graves qui mènent à la séparation ou au divorce. Ils viennent
me voir d'eux-mêmes ou sur les conseils d'un juge afin de
mieux vivre ce moment difficile. Ils ont besoin qu'une tierce
personne, neutre et bienveillante, les aide à clarifier leurs
sentiments et leur situation. Contrairement à ce que l'appellation
"conseiller conjugal" peut laisser entendre, je ne leur dis
pas ce qu'il faut faire. Je peux éventuellement leur donner
des conseils sur le plan juridique. Mais mon rôle privilégie
la réflexion sur l'action.
Y a t-il des couples qui viennent vous voir pour des problèmes
de "partage de tâches" dans leur ménage ?
Non, pas directement. On vient me voir pour des problèmes
sexuels, d'adultère, de conflit avec la famille, de désaccord
sur l'éducation des enfants
Mais quand on creuse un peu,
on arrive aussi souvent à un problème de mauvaise répartition
des tâches à la maison.
Où en est-on du "partage des tâches" aujourd'hui selon
vous ?
Quand on regarde les chiffres, on voit que les femmes effectuent
encore les deux tiers du travail domestique : 70% du travail
ménager et 60% des tâches éducatives. En une décennie, le
temps passé par les hommes aux tâches ménagères a à peine
augmenté de 10 minutes par jour...
Pourquoi les hommes en font-ils si peu ?
Ce ne sont pas les tâches en elles-mêmes qui rebutent les
hommes, mais ce qu'elles représentent. Il y a toujours l'image
de la femme servante et esclave
Le partage des tâches, ça
fait du mal à leur ego. Il faut toutefois noter que, pour
l'éducation des enfants, les hommes s'impliquent de plus en
plus.
C'est aussi une question d'éducation, non ?
Oui, c'est vrai que ceux qui partagent le plus, ce sont ceux
qui ont eu des parents modèles qui avaient le souci d'élever
leurs enfants, filles et garçons, de la même façon. Mais,
attention, il y a un fossé entre la théorie et la pratique.
Moi-même, qui suis féministe, je me suis rendue compte que,
malgré moi, je n'ai pas élevé de la même façon mes trois filles
et mon garçon.
Les femmes sont donc en partie responsable de cette situation ?
Les femmes ont intériorisé l'idée qu'elles doivent faire tout
et le mieux possible à la maison et pour les enfants. C'est
une question d'éducation, de modèle maternel, d'inconscient
collectif. Et finalement, beaucoup de femmes ont du mal à
se faire aider.
La situation varie aussi en fonction des milieux sociaux,
non ?
Oui, je travaille beaucoup en Bourgogne, en milieu rural.
Plus c'est rural, plus c'est traditionnel, plus on a du mal
à se défaire de cette image de la femme qui dirige la maison.
Mais il y a des femmes au foyer qui l'ont choisi et qui sont
très heureuses. Pour schématiser, les femmes qui ont
de l'ambition professionnelle, souffrent facilement de surmenage
; tandis que les femmes qui ne se posent pas de question sur
le partage des tâches ont une vie plus équilibrée.
Quel enjeu se cache derrière le problème du "partage des
tâches" ?
Un enjeu de pouvoir évidemment. La femme qui a la gestion
de la maison a un grand pouvoir : c'est elle qui sait faire
marcher la machine à laver, c'est elle qui sait ce qui est
bon à manger, c'est elle qui sait que le fiston a un examen
de maths le lendemain
Et elle a du mal à partager ce pouvoir.
Inconsciemment, si elle voit que son compagnon fait aussi
bien qu'elle, elle va se sentir dépossédée. Il y a là un paradoxe
: en théorie, la femme réclame le partage des tâches, mais
dans la pratique elle a besoin d'en faire plus pour se sentir
le meilleur parent, la meilleure ménagère. En plus, instaurer
un partage des tâches équilibré dans un couple
demande beaucoup de dialogue et d'organisation.
Comment les femmes qui le souhaitent doivent-elle s'y
prendre pour rééquilibrer le fardeau domestique ?
La question du partage des tâches doit être abordée dès le
début de la vie en couple. Les jeunes couples, qui sont amoureux
et se soucient peu des questions matérielles, pêchent par
ignorance et inconscience. Ils ne se rendent pas compte à
quel point c'est compliqué de gérer un ménage. Comme pour
construire une maison, il faut dresser des plans, faire des
comptes
Les couples doivent aborder dès le début ce sujet,
éventuellement en faisant une liste de répartition
des tâches. Et les femmes ne doivent pas se mettre à faire
d'emblée les tâches ménagères !
Dans votre livre, vous dîtes que l'arrivée du premier
enfant va encore plus compliquer les choses. Pourquoi ?
Malgré tout ce qu'on a pu dire sur les "papas poules"
ou les "nouveaux pères", ce sont toujours les femmes qui s'occupent
le plus des enfants. A partir de la maternité, les rôles sont
bouleversés car la femme est à la maison et fait plein de
choses. Le risque est que ces rôles se figent. Or la maternité
est une situation temporaire, il faut rester vigilante quant
à la répartition des tâches.
Comment voyez-vous l'évolution du "partage des tâches" ?
Je pense que la situation va progresser car les jeunes
s'intéressent à la question. Ils ont reçu une éducation qui
les y a davantage sensibilisé. Sur le plan professionnel,
je pense qu'on arrivera à une égalité de salaire, mais sur
le plan de la maison, je ne pense pas qu'on arrivera un jour
à un partage des tâches équitable. Cela tout simplement parce
que les hommes et les femmes sont différents. Des études américaines
ont montré par exemple que les hommes, contrairement aux femmes,
ne voient pas les détails et qu'ils sont plus tournés vers
les travaux extérieurs (centrifuge), alors que les femmes
sont davantage tournées vers l'intérieur (centripète).
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