Camille Emmanuelle : "Le plaisir féminin n'est pas un Saint Graal"

Décrypteuse de tendances érotico-culturelles, Camille Emmanuelle va mettre en scène le nouvel (et très attendu) Espace Coquin de la Foire de Paris. Entretien avec une jeune femme qui fait de la sensualité et de l'érotisme des sujets du quotidien.

Camille Emmanuelle : "Le plaisir féminin n'est pas un Saint Graal"
© Guillaume Landry pour Parigramme

Camille Emmanuelle écrit et chronique sur l'érotisme sous toutes ses formes, notamment via son blog C'est Camille. Pour Le Huffington Post et Brain Magazine, elle décrypte livres, films, expos, personnages, lieux et tendances liés à la culture érotique. Elle consacre également une partie de son activité à la direction artistique, de l'Espace Coquin lors de la prochaine Foire de Paris, par exemple.

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Camille Emmanuelle © Guillaume Landry

JournalDesFemmes.com : Comment sera présenté l'Espace Coquin à Foire de Paris ? Qu'y trouvera-t-on ?
Camille Emmanuelle : Cet espace occupera 600 m² et ne sera pas complètement ouvert car interdit au moins de 16 ans. L'idée est aussi d'attirer l'oeil : de l'extérieur, on ne voit pas forcément ce qui se passe dedans... Le visiteur et client, homme ou femme, y trouvera des stands de marques comme Fun Factory, un fabricant de sextoys qui présentera le concept des réunions sextoys, Orée Flamm, une petite marque qui fabrique des bijoux et de la lingerie, Maison Close, une belle marque de lingerie française que je suis heureuse d'avoir sur cet espace... On pourra aussi compter sur la présence de la super boutique Dollhouse, de l'Association des plaisirs de France et de la maison d'édition-librairie La Musardine, qui mettra en avant sa collection "Osez". A côté de ces marques, j'ai réalisé une mise en scène que j'ai voulue ouverte aux couples. Donc pas trop féminine, dans un style échoppe parisienne, afin qu'un homme qui y rentre n'en sorte pas aussitôt en disant "Ce n'est pas pour moi !".

Il y aura également une programmation quotidienne d'ateliers : cela va du cours burlesque où l'on apprend à marcher comme une pin-up à des shows de boylesque (effeuillage masculin), en passant par l'atelier d'écriture érotique où l'on aborde les sextos ou encore du "coaching sexo".

A propos des sextoys justement, comment expliquez-vous leur boom ?
Depuis dix ans, en France, il y a un changement de l'offre et de la demande sur le marché des sextoys. Côté offre, les produits proposés sont plus design et plus jolis. Plus adaptés à l'anatomie aussi. Ils sont également à combiner à la cosmétique érotique comme les bougies et huiles de massage, l'encre corporelle comestible... Du point de vue de la demande, les sextoys sont associés à une sexualité récréative, et non plus procréative. Au sein du couple, le sextoy n'est plus un concurrent mais un jouet. Preuve en est avec le début des sextoys masculins. Les hommes ont tout à gagner que les femmes soient à l'aise avec leur corps grâce aux sextoys. Je pense aussi que le sextoy est un moyen détourné d'aborder la question du plaisir solitaire féminin : la masturbation féminine est encore un tabou et acheter un sextoy, c'est admettre (discrètement) cette pratique sexuelle. Enfin, le jouet érotique permet la discussion. A ce propos, je prône plus la parole que la consommation : ça ne sert à rien d'avoir 17 sextoys dans sa commode ! Un suffit, adapté à ses attentes. Il faut d'abord en parler, pour ensuite aller plus loin dans sa sexualité : on ne se lance pas comme ça d'un seul coup dans le BDSM ! Avec le sextoy, c'est pareil, on en discute à deux d'abord. Acheter un sextoy, c'est dire à l'autre que l'on a pensé à lui et que l'on a envisagé des jeux érotiques avec lui. C'est "donner envie de...", tout simplement.

Qui achète les sextoys ? Les femmes ou les hommes ?
Les deux, je pense. Il est préférable d'aller en boutique afin d'être conseillé au mieux. Sinon, on peut être vite perdu parmi toute l'offre de jouets érotiques.

Aujourd'hui, qu'est-ce que le plaisir au féminin ?
Les femmes ont aujourd'hui la volonté de prôner une sexualité ludique. Ce qui ne signifie pas enfantine. Mais il existe encore des écueils car elles ont hérité des clichés. Notamment à travers les tabous liés à l'éducation sociétale catholique : il y a, encore aujourd'hui, un reste de "sexualité = pêché" dans notre société. Le second écueil selon moi est lié au sexe omniprésent : de nos jours, il faudrait avoir 12 000 aventures dans sa vie et 4 orgasmes par nuit ! Et puis, les femmes ont longtemps été mises de côté en termes d'étude sur la sexualité. Il faut savoir que la première véritable étude sur le clitoris, en 3D, sur son fonctionnement et sa physiologie, a été réalisée seulement en 1998 par une chercheuse australienne ! Cela montre qu'il y a une méconnaissance scientifique et physiologique de la sexualité féminine. Ajoutez à cela un discours stéréotypé, en termes de pratiques, sur ce qu'est une femme bien, à savoir une femme qui ne couche pas le premier soir par exemple... Le tableau n'est pas toujours rose ! Heureusement, depuis des siècles, il y a des femmes libres. La révolution sexuelle, celle des années 1970, est néanmoins déjà faite. Mais la révolution érotique est en cours. Et elle doit se faire avec les hommes : ils doivent comprendre que le plaisir féminin n'est pas si compliqué que ça. Que ce n'est pas le Saint Graal !

Comment faire alors ?
Il faut sortir de la vision basique "préliminaires/pénétration/dodo" et explorer les désirs mutuels au sein du couple. Donner, recevoir et partager sont les maîtres mots. D'ailleurs, la sexualité masculine n'est pas si simple qu'on pourrait le croire. Les hommes aussi ont plusieurs fantasmes, des pressions sociales liées à la performance et une libido qui change. Eux aussi ont plusieurs possibilités d'orgasmes. Celui venant de la prostate est souvent ignoré : un autre terrain de plaisir à explorer... Sur l'Espace Coquin de Foire de Paris, on va ouvrir des portes, donner des clés aux visiteurs : les gens vont repartir avec un livre, un sextoy...

Comment pimenter sa vie de couple ?
Je n'aime pas cette expression ! Je préfère dire qu'il faut "ré-érotiser le quotidien". Selon moi, pimenter sa vie de couple, ça signifie trop mettre des porte-jarretelles, etc. La ré-érotisation du couple passe aussi par de nouveaux rendez-vous que l'on se donne. En allant à l'hôtel, par exemple : c'est une des choses les plus érotiques à faire à deux. Même lorsque l'on est un couple légitime ! C'est un cadre sans enfant, un terrain neutre où l'on peut oser et où les choses se font plus librement.

Si on prend la métaphore culinaire, il n'y a pas de recette pour une sexualité épanouie mais de bons ingrédients. Cela pose entre autre la question du regard sur l'autre : il faut ré-érotiser son partenaire. Dans son livre L'intelligence érotique, la sexologue américaine Esther Perel décrit quelques principes pour faire encore des galipettes après vingt ans de vie commune : se re-rencontrer, donc, autoriser les fantasmes personnels (se caresser seul(e), par exemple), casser le mythe de la spontanéité (ce n'est pas triste de se redonner rendez-vous comme au premier jour !) et admettre que le sexe, ça ne dure pas forcément trois heures, que c'est aussi s'embrasser et se caresser pendant trente minutes. Cette sexualité sans sexe se suffit parfois. Et lorsque l'on est fatigué ou que l'on manque de temps, on peut en faire une règle du jeu. Un jeu sans enjeu.

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Paris couche-toi-là de Camille Emmanuelle, aux éditions Parigramme © Parigramme

Vous venez de publier un livre sur l'érotisme parisien, Paris couche-toi-là. Alors, Paris capitale de l'érotisme ?
Oui, Paris est une ville au fort capitale symbolique, romantique et érotique. Elle est considérée dans le monde entier comme la ville des plaisirs. Dans mon livre, je prends le lecteur par la main. Je l'emmène pour une balade, de la petite boutique au club BDSM, de lieux dédiés au sexe à d'autres où l'on peut juste s'émoustiller. J'ai un regard amusé sur le sexe, et que j'espère amusant.

Un lieu insolite pour faire l'amour dans Paris ?
Il n'y a pas un lieu ! Il y a sa propre balade à faire, son regard à changer sur Paris et un ensemble de différents ingrédients qui font que Paris peut être une ville érotique. On peut y vivre sa sexualité plus libre qu'avant.

En tant qu'auteur érotique, que pensez-vous du phénomène littéraire mummy porn ?
Je défends beaucoup la littérature érotique. Voire pornographique, celle qui se lit à une main, comme je dis. Même si c'est parfois très sexe, voire trash, on y pose son propre filtre d'imagination qui fait que ce sera toujours moins "agressif" que les images d'une vidéo pornographique. Le mommy porn ne me touche pas car ce n'est pas bien écrit, stéréotypé et très pauvre d'un point de vue narratif : c'est toujours la même chose, faire l'amour avec un riche milliardaire ! En revanche, je trouve cela intéressant en termes de tendance sociale dans la mesure où il permet d'accéder à la littérature érotique et de la sortir de son carcan. Pour autant, les lectrices passeront-elles de Fifty Shades Of Grey à Anaïs Nin ? Je n'en suis pas sûre...

Un titre de roman érotique à lire ?
En France, j'aime bien l'auteure française Octavie Delvaux et son roman Sex in the kitchen, une très belle plume, contemporaine et sexy. Sinon, côté auteurs américains, j'ai trouvé très bien écrit le roman Sex In America de Marilyn Jaye Lewis : elle y parle du désir féminin et de femmes qui ont des envies souvent attribuées aux hommes.

Infos :
Espace Coquin, Foire de Paris
 Où : Paris Expo - Porte de Versailles, pavillon 2.1
 Quand : du 30 avril au 11 mai.