Chloé et Etienne: tout plaquer par amour (et supporter la culpabilité)

TEMOIGNAGE - A 22 ans, Chloé rencontre Étienne, de treize ans son aîné Ils tombent amoureux et quittent leurs engagements respectifs : elle est fiancée, il est marié. Pendant plus de deux ans, ils vivent avec le lourd poids de la culpabilité. Aujourd'hui, ils ne regrettent pas leur choix et nous racontent. Poignant et bourré d'espoir.

Chloé et Etienne: tout plaquer par amour (et supporter la culpabilité)
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Ma vie semblait toute tracée. J'avais 21 ans lorsque je me suis fiancée à Léo. Nous étions ensemble depuis quatre ans. J'allais terminer mes études d'infirmière. Mais un an plus tard, après un stage qui s'est mal passé, j'ai voulu tout arrêter. J'étais démolie par cette expérience mais mes parents, ainsi que Léo, me poussaient à continuer. Il était hors de question que j'abandonne. Il fallait, non-stop, que je sois parfaite. Et c'est là que j'ai rencontré Étienne, un ami de mon frère. Il venait d'aménager dans notre ville, avec sa femme et ses enfants. Il a 13 ans de plus que moi. Il cherchait une baby-sitter, j'ai passé quelques soirées chez lui à garder sa fille et son fils. Et puis, on s'est davantage vu comme des copains, au sein de la bande de mon frère. Il connaissait mes tracas et il a été le seul à me soutenir. Il m'appelait beaucoup, il était très présent. Il me répétait que j'étais jeune et que j'avais l'opportunité de faire ce qui me plaisait.

"On a commencé à se voir en cachette, l'envie était irrépressible "

J'ai fini par prendre rendez-vous avec la directrice de l'école et j'ai planté mon cursus. Mes parents n'ont pas accepté ma décision, notre relation est devenue conflictuelle. Ils m'ont mise à la porte et j'ai vécu chez mon frère. Léo m'en voulait également, il se rangeait du côté de ma famille. On ne parvenait plus à communiquer depuis quelques temps. Les préparatifs de notre mariage étaient houleux. On était fréquemment en désaccord, on n'avait pas envie des mêmes choses. Petit à petit, nous nous sommes éloignés l'un de l'autre. En parallèle, e voyais beaucoup Étienne. Il était toujours près de moi et m'aidait à surmonter cette épreuve. Nous nous sommes rapprochés, on se racontait nos vies un peu bancales. Son couple se portait mal depuis quelques temps. Étienne remplissait son rôle de père, mais plus de mari.

Je pensais que c'était une passade et que j'allais retrouver Léo. Mais j'avais des sentiments pour Étienne, je me l'avouais, je ne passais pas à autre chose. Nous avons échangé un premier baiser un 31 décembre alors que nous étions tous les deux engagés dans nos relations. On a commencé à se voir en cachette, l'envie de se voir était irrépressible. Quelques mois plus tard, Étienne m'a demandé clairement si j'étais prête à le suivre. Il m'a dit qu'il était dans une zone de non-retour et que nous pouvions vivre notre histoire. L'idée même que l'on passe à côté de nous le rendait malheureux.

"Je ne me sentais pas capable de détruire une famille et de porter cette responsabilité"

J'étais prisonnière de ma culpabilité. Je me disais que j'étais incapable de faire ça, de détruire une famille et de porter cette responsabilité. Face à la morale, mais aussi face à mon éducation religieuse catholique, ça me paraissait impossible. Mais j'étais déjà dans le pêché, ceci-dit. Je ne sais pas où j'ai trouvé l'énergie, comment le déclic est né, mais arrive à un moment où c'est vital, on déplace des montagnes parce qu'on ne peut pas passer à côté de soi, de sa vie, de ce que l'on veut réellement devenir. Alors j'ai quitté Léo et Étienne a quitté sa femme. Nous avons fait ça très brutalement pour s'éviter les longues discussions avec nos conjoints respectifs, les petits arrangements possibles et les doutes qui vont avec. On ne voulait pas se sentir retenus et on ne voulait pas que notre foutue culpabilité – parce que c'était aussi compliqué pour lui – freine notre élan et notre besoin d'être ensemble.

Affronter ma famille et mon fiancé a été difficile. Et puis mes parents adoraient Léo, qui était à leurs yeux le gendre parfait. La même année, j'ai donc quitté la voie professionnelle sur laquelle je me trouvais - pour devenir aide-soignante, ainsi que mon compagnon. Depuis, j'ai coupé les liens avec ma famille. Certains de mes amis m'ont jugée et considérée comme personna non grata. Je les ai perdus de vue.

La femme d’Étienne n'était pas prête à divorcer. Elle avait besoin de temps, elle voulait avoir à prendre la décision aussi, pour mieux l'accepter. Pendant deux ans, notre histoire a été extrêmement difficile. Nous vivions dans son appartement et le mien, un coup chez l'un un coup chez l'autre, en prenant soin que je ne croise pas ses enfants. Je ne me sentais pas capable de les voir, d'être face à sa rupture, sa vie de famille brisée. Mais nous n'étions pas vraiment un couple. Étienne oscillait entre sa femme et moi, parce que la réalité était bien plus compliquée qu'il ne l'avait imaginée. Il a mis beaucoup de temps à faire son deuil, il craignait son futur et sa nouvelle vie, il s'en voulait de tout abandonner. J'étais très malheureuse mais je l'attendais. Sa femme le faisait culpabiliser, elle lui demandait comment il pouvait faire ça aux enfants. Et moi, il me le répétait et je vivais encore et toujours avec ce poids.

"Demeure cette sensation désagréable d'être la troisième roue du carrosse"

Aujourd'hui, tout va mieux, cela va faire trois ans que nous sommes ensemble. C'est grâce à lui que nous avançons. Il a pris le temps nécessaire pour que tout se passe bien avec les enfants, avec elle, car moi j'étais impatience. La précipitation nous aurait certainement desservis. Désormais, je vois ses enfants de temps en temps, comme une amie de leur père. L'un deux a même dit : "si papa se remarie un jour, j'aimerais bien que ce soit avec Chloé !".

Nous allons vivre ensemble dès que leur divorce sera prononcé, car ce n'est toujours pas le cas. J'ai demandé pardon à sa femme il y a quelques mois, je la croise de temps en temps. Elle m'a regardée, n'a rien dit, puis m'a prise dans ses bras. C'était très bizarre. Je sens toujours cette colère qu'elle a cristallisée contre moi. Mais ça ne se passe pas forcément mal. On fait avec. Étienne et elle gardent des moments en famille, c'est important pour les enfants. Et puis, elle commence à voir quelqu'un, ça m'aide à aller de l'avant. Je ne regrette pas mes choix, le temps de la honte et de la culpabilité passe petit à petit, sinon on en crève. Il en reste qu’Étienne a une famille et que demeure cette sensation ponctuelle de troisième roue du carrosse. Il faut composer, s'armer de bienveillance. Nous tenons bon.

"Je suis sortie des diktats de ma famille, de la religion et de la société"

Je ne vois plus mes parents. Ils savent que je vois les parents d’Étienne et ils m'en veulent. Ils ne cherchent pas à rencontrer Étienne parce qu'ils risqueraient de l'apprécier. Or, ils restent butés, ils considèrent que j'ai fait une grosse connerie, qu’Étienne profite de moi, et ils me déballent un tas de stéréotypes sur notre écart d'âge. Je ne suis pas triste, j'ai simplement de la colère envers eux. S'ils ne sont pas en mesure d'entendre que c'est mon choix de vie, alors tant pis. Ce n'est pas ça, l'amour des parents que l'on voudrait avoir. Peut-être que oui, ma situation n'est pas optimale, ce n'est peut-être pas ce que l'on rêve pour ses gamins. Mais ils devraient m'écouter, faire ce geste pour moi. Je leur en veux encore de ne pas avoir compris que quitter mes études était pour moi vital, et que ça ne fonctionnement plus avec Léo. Si j'avais continué mon histoire avec lui, la fin aurait pu être fatale. Un mariage, des enfants : ça aurait été d'autant plus déchirant. Mais mes parents continuent de voir Léo, ils sont encore dans le passé et moi, je conjugue au futur. On va bientôt s'installer ensemble avec Étienne. Je veux des enfants, lui aussi, même s'il a du mal avec l'image de la famille recomposée. Mais le temps fera ce qu'il faut, parce que jusqu'ici on a su se battre et on construit pas à pas notre bonheur. Je n'ai pas fait le choix d'une vie facile mais je me sens épanouie désormais. Je suis sortie des diktats de ma famille, de la religion et de la société. Sans l'amour, j'en aurais été bien incapable. Ce sont les plus difficiles et les plus années de ma vie à ce jour.